Fiche contextuelle : arts de diverses cultures (ou d’artistes racisés)

Nous avons préparé des fiches contextuelles qui renferment des renseignements et des ressources sur les communautés et les pratiques artistiques émergentes, minorisées et moins bien comprises. Notre intention est d’en favoriser la compréhension et de veiller à ce que les comités d’évaluation (internes ou formés de pairs) soient bien outillés pour formuler des recommandations éclairées.

Chaque fiche contextuelle est un document évolutif mis à jour de temps à autre afin qu’il progresse au rythme des discussions sur le sujet abordé.

Contexte

Définition de « diverses cultures »

Le Conseil des arts du Canada définit les artistes de « diverses cultures » (ou racisés) comme ceux et celles qui sont d’ascendance africaine, asiatique, latino-américaine, moyenne-orientale ou mixte. Bien que ce terme générique soit utile pour regrouper les populations qui font collectivement face au racisme systémique, il est important de reconnaître que chacun de ces groupes culturels est distinct et composé de sous-groupes qui représentent une myriade de langues, d’histoires, d’esthétiques et d’expressions culturelles.

Les organismes de diverses cultures comprennent :

  • les groupes propres à une culture, qui s’orientent autour des pratiques ou expressions artistiques d’une communauté ethnoculturelle particulière;
  • les groupes interculturels, qui intègrent de multiples cultures et formes d’art.

La supposée universalité de l’art et la notion variable d’excellence

Plusieurs croient que l’art est universel. Il est vrai que certains chefs-d’œuvre puissent exercer un attrait universel, mais en vérité, la création et la réception de l’art sont hautement spécifiques et fondées sur des normes culturelles, des histoires, des systèmes de croyances, des idéaux de beauté, des contextes linguistiques et des valeurs esthétiques particulières. En fait, bien des formes et des œuvres d’art de diverses cultures sont fondées sur des traits esthétiques qui ne se conforment pas aux idiomes occidentaux.

Pensons, par exemple, à la polyrythmie et au polycentrisme en danse africaine, ou au recours à la gamme pentatonique non occidentale dans la musique chinoise. Dans certains cas, les esthétiques des formes artistiques occidentales et non occidentales sont diamétralement opposées. Le ballet classique, par exemple, favorise l’agilité, les corps athlétiques, les orteils pointés, l’illusion de légèreté ou de vol et le contact physique marqué entre des danseurs qui couvrent de grands espaces. Pour sa part, le Bharatanatyam, une forme de danse classique originaire du sud de l’Inde et fondée sur une grande discipline, se caractérise par un large éventail de types de corps. Il se caractérise aussi par des pieds fléchis ou à plat, une solide posture centrée sur la terre, un contact physique limité entre les danseurs, des mouvements subtils des mains et des yeux, et une utilisation plus restreinte de l’espace.

Quand nous évaluons le travail d’artistes de diverses cultures, il est essentiel de reconnaître que :

  • les œuvres d’art sont perçues différemment par les personnes de différents horizons culturels et esthétiques;
  • les définitions du mérite artistique sont fluides et subjectives;
  • les notions d’excellence varient selon les cultures, les traditions, les genres et les styles.

Les multiples obstacles systémiques

Bien qu’il existe une plus grande sensibilité à l’égard des pratiques de diverses cultures, les artistes de diverses cultures continuent de faire face à différents obstacles systémiques et comportementaux au sein du secteur artistique canadien. Les stéréotypes, l’exotisation, les gestes purement symboliques et l’exclusion sont des préoccupations constantes.

Malgré des années de pratique professionnelle, les artistes se trouvent souvent étiquetés comme étant « communautaires », « ethniques » ou « minoritaires », et le travail jugé traditionnel ou folklorique est souvent sous-évalué comparativement au travail contemporain ou reposant sur des formes occidentales classiques. Les barrières linguistiques peuvent aussi être problématiques pour les nouveaux arrivants et les artistes immigrants dont la langue première n’est pas l’anglais ou le français. Cela nuit à la capacité des artistes à rédiger des demandes de subventions ou à se faire valoir au sein du secteur artistique canadien.

L’appropriation culturelle est aussi une préoccupation importante, puisque de nombreux artistes et organismes artistiques « empruntent » des formes culturelles, des esthétiques ou de l’iconographie aux communautés de diverses cultures, mais en les déracinant de leur contexte social, politique et culturel, et sans reconnaître les sources de ce travail. Cela limite parfois la possibilité, pour les artistes racisés, de raconter leurs propres histoires.

Enjeux et analyse

Les principaux défis des artistes et des organismes artistiques de diverses cultures

Depuis le début des années 2000, l’évolution démographique du Canada a contribué à la croissance rapide de la diversification de l’expression artistique, des organismes et compagnies artistiques ainsi que des publics à l’échelle nationale. Dans toutes les disciplines, les artistes de diverses cultures ont aussi bénéficié du fait que le public et les critiques valorisent davantage leur travail.

Malgré ces changements positifs et un accès accru au financement, un manque d’infrastructures persiste dans l’ensemble du milieu artistique pour soutenir la formation, la création, la production et la diffusion des formes et œuvres d’art culturellement spécifiques ou interculturelles. Par ailleurs, étant donné qu’une grande partie de ce travail découle d’esthétiques, de disciplines artistiques et de visions du monde qui ne sont pas d’origine européenne, les normes selon lesquelles la majorité compare, perçoit et évalue l’art peuvent ne pas s’appliquer. Ainsi, les pairs doivent sortir des standards artistiques européens pour trouver des mesures appropriées pour évaluer le travail.

Une formation dominée par l’eurocentrisme

Les possibilités de formation formelle sensibles sur le plan culturel et incluant des pratiques artistiques diversifiées dans leur programme de base sont assez limitées au Canada. Dans ce pays, les institutions de formation préprofessionnelle et les programmes universitaires en arts sont encore dominés par les formes artistiques et les esthétiques eurocentrées.

Les organismes artistiques de diverses cultures se trouvent donc de plus en plus engagés dans un large éventail d’activités de formation et de transfert de connaissances, y compris des mentorats, des programmes d’apprentissage, des ateliers, des laboratoires et des cours spécialisés. De plus, bon nombre de ces organismes doivent recruter, cultiver et former leurs propres artistes parce que la plupart des établissements de formation n’enseignent pas les formes artistiques propres à une culture, et les artistes qui possèdent la formation et qui sont versés en la matière sont rares.

Les groupes d’arts de la scène, en particulier, démarrent souvent leurs propres programmes de formation dans le but de créer la prochaine génération d’artistes-praticiens dans des formes culturelles précises (p. ex., la musique et la danse indiennes classiques, l’opéra chinois ou la danse africaine). Par ailleurs, ces groupes peuvent inviter des artistes étrangers afin d’augmenter leur bassin d’interprètes, de mentors et de créateurs et d’enrichir leur répertoire.

Des occasions et des revenus limités

Même si la rémunération insuffisante de leur travail artistique est une préoccupation pour l’ensemble des artistes au Canada, des données du recensement montrent que les artistes de diverses cultures tirent de leur pratique artistique des revenus inférieurs à ceux de leurs pairs qui ne sont pas issus de la diversité.

Les réalités culturelles et financières font aussi en sorte que les artistes de diverses cultures occupent, plus souvent et dans une proportion plus élevée que leurs pairs, des emplois non artistiques durant la semaine et se consacrent à leurs projets artistiques seulement à temps partiel, le soir et la fin de semaine. Cela peut entraîner des cycles de création et de production plus longs et limiter les occasions de perfectionnement professionnel des artistes de diverses cultures. Ces artistes ne sont pas, par exemple, aussi disponibles pour participer à de longues résidences artistiques ou à des ateliers, comme d’autres artistes. Conçus pour être accessibles aux personnes à plus faible revenu, certains de leurs projets peuvent aussi sembler de plus petite portée. Ainsi, leurs curriculum vitae ne témoignent pas toujours de formation et d’expériences professionnelles aussi variées et solides que d’autres artistes.

Les obstacles persistants au financement et aux infrastructures pour les organismes

Au cours des dernières années, le Conseil et plusieurs bailleurs de fonds provinciaux et municipaux ont fait des efforts délibérés pour soutenir les artistes de diverses cultures. Il s’agissait de réagir aux obstacles historiques et systémiques que les candidats minorisés devaient affronter pour accéder au financement. Toutefois, ces obstacles perdurent pour plusieurs organismes et compagnies artistiques de diverses cultures qui tentent d’obtenir des subventions de base et du soutien pluriannuel, ou pour atteindre des niveaux équitables de financement au sein des programmes. Il est souvent difficile pour les nouveaux candidats d’accéder à ces programmes, qui sont dotés d’un budget de base et de financement limités sur plusieurs années, surtout pour les organismes de diverses cultures qui s’insèrent généralement dans le monde des subventions beaucoup plus tard que leurs contreparties aux ascendances européennes.

En tant que bénéficiaires plus récents de subventions de base, les organismes artistiques de diverses cultures manquent souvent d’infrastructures, telles les ressources humaines et financières, les installations et les capacités sur les plans de l’administration, du marketing et de la collecte de fonds. Renforcer ces capacités est essentiel pour répondre aux besoins des artistes et des organismes artistiques de diverses cultures et pour garantir leur viabilité à long terme. À l’heure actuelle, les budgets de projet et de fonctionnement de ces groupes peuvent refléter une plus grande dépendance envers les fonds publics, le bénévolat et les services en nature que ceux des pairs appartenant à la culture dominante.

D’importants obstacles à la diffusion

Depuis le début des années 2010, le travail des artistes de diverses cultures s’illustre de plus en plus sur les scènes et les écrans, dans les musées et dans les listes d’éditeurs du Canada. Cela est surtout attribuable au talent et à la débrouillardise des artistes de ces communautés, mais aussi à l’appétit croissant du public canadien, et à sa plus grande sensibilité pour les questions d’équité et de diversité dans l’ensemble du secteur des arts.

Malgré cet élan, les artistes de diverses cultures continuent de faire face à de plus grands défis pour la diffusion de leurs œuvres que leurs pairs. Cela s’explique notamment par un manque de connaissances ou, parfois, d’intérêt chez les diffuseurs, les commissaires, les responsables de la programmation et les éditeurs dominants du Canada au sujet des formes et pratiques artistiques de diverses cultures, de même que par le nombre limité de professionnels des arts de diverses cultures dans des rôles décisionnels au sein des institutions artistiques canadiennes.

Voici comment se traduit ce problème de diffusion dans diverses pratiques artistiques :

  • En danse, peu de diffuseurs présentent régulièrement des œuvres ancrées dans des traditions non occidentales.
  • Au théâtre, les diffuseurs limitent parfois le contenu de diverses cultures à une œuvre par saison.
  • En musique, les festivals de musique du monde et folklorique ont joué un rôle important pour l’enrichissement des talents de diverses cultures, mais des artistes de couleur signalent toutefois un accès limité aux possibilités de participer à des enregistrements et à spectacles sur une « grande scène ».
  • En arts visuels et médiatiques, les artistes de diverses cultures assistent à une augmentation des possibilités d’exposition et des discours de commissaires et de critiques sur leurs œuvres, mais ils ne disposent pas encore d’un accès équitable aux galeries, musées, festivals et diffusions au Canada.
  • En littérature, les écrivains de diverses cultures ont gagné en visibilité dans les cercles d’édition et auprès du lectorat canadien (ils remportent de plus en plus de prix littéraires, comme les Prix littéraires du Gouverneur général, le prix Scotiabank Giller et Canada Reads). Toutefois, les auteurs émergents ou nouvellement arrivés au pays font encore face à de grandes difficultés pour se faire publier, notamment parce que peu de revues et de journaux publient de la fiction et de la poésie d’auteurs de diverses cultures, et parce que plusieurs des publications propres à des cultures particulières ont inopportunément disparu au cours des 20 dernières années.

En raison de ces difficultés, les artistes de diverses cultures sont souvent obligés de :

  • présenter eux-mêmes leurs œuvres;
  • tirer profit de possibilités hors du circuit officiel pour offrir des prestations ou des expositions, dans des salles et des milieux non traditionnels;
  • mettre au point de nouvelles plateformes numériques pour leurs œuvres;
  • lancer leur propre festival ou réseau de diffusion et de tournée pour atteindre de nouveaux publics.

La diffusion internationale

À l’échelle internationale, les artistes de diverses cultures explorent aussi de nouveaux territoires en établissant des liens entre le Canada et les marchés en pleine croissance de l’Asie orientale, de l’Asie du Sud, de l’Amérique du Sud et de l’Amérique centrale, de l’Afrique et du Moyen-Orient.

Cependant, lorsque les artistes et les organismes artistiques de diverses cultures présentent ou exposent leurs œuvres dans des espaces non traditionnels et des régions à moins grande affluence, où l’accent est souvent mis sur l’échange culturel plutôt que monétaire, leurs revenus autogénérés sont souvent moins élevés. Les pairs peuvent aussi percevoir à tort ces présentations comme étant moins « professionnelles » que celles qui ont lieu à des endroits plus conventionnels, parce que les cachets versés aux artistes sont moins élevés. Il est donc essentiel de pleinement comprendre le contexte des pays moins développés économiquement et de valider la diffusion dans divers cadres.

Les considérations d’équité du Conseil pour les arts de diverses cultures

Qu’est-ce que l’équité?

L’équité est un principe et un processus visant à offrir des conditions équitables à toute personne qui désire participer pleinement à la société. En vertu de ce principe, l’on reconnaît que, si toutes les personnes ont droit à un traitement égal, elles n’ont pas toutes le même accès aux ressources, aux possibilités ou aux avantages. L’équité ne se résume pas toujours à traiter toutes les personnes ou tous les groupes de la même façon, mais peut exiger le recours à des mesures particulières par souci de justice.

L’accent mis sur l’équité au Conseil

Assurer un accès équitable à ses programmes et services fait partie des valeurs fondamentales  du Conseil des arts du Canada. Cet engagement de longue date remonte à 1991, lorsque le Conseil a créé le Bureau de l’équité afin d’améliorer l’accès pour les artistes canadiens issus des communautés autochtones et de diverses cultures.

En raison du fait que les artistes, les groupes et les organismes artistiques de diverses cultures doivent surmonter des difficultés considérables et franchir des barrières systémiques, le Conseil reconnaît les candidats de diverses cultures comme faisant partie des groupes visés par l’équité. Et il a mis au point pour eux des définitions, des politiques et des mécanismes, lesquels sont énoncés dans sa Politique en matière d’équité.