
Un mandat national à l’échelle citoyenne
Discours de Simon Brault
Série de conférences sur l’Agenda 21 de la culture
Institut du Nouveau Monde
10 décembre 2015
Je tiens d’abord à remercier l’institut du Nouveau Monde de son invitation et je salue son initiative de présenter cette série de conférences qui permet à l’Agenda 21 de la culture de demeurer à l’ordre du jour des discussions sur notre développement durable.
Synchronicité
Je sais que personne n’est surpris de me voir à cette tribune. J’ai maintes fois parlé de l’Agenda 21 de la culture. Je suis bien connu pour ma participation active à différents mouvements et forums visant à favoriser l’insertion de la culture comme dimension essentielle du développement durable aux échelles locale et internationale. Je l’ai fait notamment lorsque j’étais président de Culture Montréal et, aussi, un des porteurs de projet de l’Agenda 21C du Québec. Aujourd’hui, je prends la parole à titre de directeur d’un organisme national, le Conseil des arts du Canada.
Local, national et international : même combat me direz-vous? D’une certaine façon, oui.
Les actions locale et nationale sont très intimement liées. Elles s’influencent mutuellement et, à un point tel, qu’il devient difficile de simplement imaginer réaliser des progrès à l’une ou l’autre de ces échelles si on ne mise pas davantage sur ce qui les lie. Disons-le clairement et reconnaissons-le : les frontières qui définissent les champs d’intervention des différents acteurs locaux ou nationaux ne sont que de simples paramètres. Ce ne sont pas des limites dans lesquelles nous devons nous retrancher, nous ignorer les uns des autres. Il faut s’en servir pour synchroniser nos forces d’intervention.
Au printemps dernier, je participais au premier Sommet Culture de Cités et Gouvernements Locaux Unis, à Bilbao, et j’y parlais justement de l’Agenda 21 selon une perspective « nationale ». J’y ai abordé les principes d’équité et de diversité qui sont clé à notre synchronicité d’intervention pour le soutien à la culture et aux arts.
J’évoquais alors la multiplication des initiatives visant à optimiser l’appui des villes à leurs quartiers et à leurs différentes communautés; celui des gouvernements des provinces et territoires à leurs différentes régions; et de celui du Conseil des arts et des différentes instances nationales à l’ensemble des provinces et des territoires.
Je suis convaincu que, pour pleinement réaliser son mandat, le Conseil que je dirige doit avoir une connaissance et une compréhension de l’ensemble de ces réalités. Il doit aussi se faire le champion inlassable des principes d’équité et de diversité pour dépasser le cadre des interrelations entre les structures institutionnelles, gouvernementales ou paragouvernementales, qui se préoccupent, à juste titre, de leurs compétences respectives et de reddition de compte. Mais nous devons tout de même viser ce dépassement des cadres qui nous définissent pour susciter une synergie dynamique, efficiente et définitivement orientée vers le mieux-être de tous. Nous devons aussi faire de plus en plus appel à la responsabilité individuelle et à la responsabilité citoyenne, et cela, à l’intérieur et à l’extérieur de nos structures institutionnelles. Car ce sont chacun des membres de la communauté artistique et chacun des citoyens dans leur propre engagement, qui déterminent ce qui influencera l’avancement culturel de notre société et ses progrès en matière de développement durable.
J’aimerais ici être clair. Je ne dis pas qu’il faut renoncer à confier une large partie de notre avancement collectif aux institutions : ce que je dis, c’est que celles-ci ont, en retour de la confiance qui leur est accordée, une obligation croissante d’ouverture et un devoir de pertinence des plus exigeants pour demeurer au cœur des processus de participation démocratique. Incidemment, la participation démocratique doit se vivre au quotidien, sinon on continuera de déplorer périodiquement son étiolement. Il en va du droit à la libre expression, de notre pleine capacité de créer sans contrainte, d’innover et de rêver l’avenir sans nous censurer.
La participation citoyenne ne fait pas simplement contrepoids à nos institutions, mais elle est le facteur qui permet de les régénérer.
Cela dit, dans cette immense vague de mondialisation qui ne semble pas connaître de ressac, comment la voix citoyenne arrive-t-elle à se faire vraiment entendre; comment peut-elle venir amplifier un mouvement misant sur le mieux-être de tous et non pas sur le repli sur soi, le confort et l’indifférence, qui rouillent et ruinent nos démocraties occidentales.
Valeurs, repères et démocratie
Au lendemain des récents attentats de Yola et Kano au Nigeria, de ceux de Beyrouth et de Paris, nos sociétés ont senti le besoin d’exprimer leur solidarité. Ici comme ailleurs, nous avons senti l’urgente nécessité de réaffirmer les valeurs d’ouverture et de démocratie sur lesquelles s’appuie notre vivre ensemble. La crise des réfugiés syriens interpelle maintenant directement et concrètement notre volonté d’accueil.
Malheureusement, l’affirmation de nos valeurs n’a pas été unanime. Il a suffi d’un faux passeport trouvé à proximité d’un attentat pour raviver des craintes qui, aussi irrationnelles soient-elles, pèsent lourdement dans l’opinion publique. Des craintes qui font oublier en partie les élans de compassion provoqués par l’image saisissante et obsédante du corps sans vie d’un enfant sur une plage turque.
Dans un très récent article du Monde sur le djihadisme à la source des attentats, Jürgen Habermas écrivait avec justesse [et je cite] : « La société civile doit se garder de sacrifier sur l’autel de la sécurité toutes ces vertus démocratiques d’une société ouverte que sont la liberté de l’individu, la tolérance vis-à-vis de la diversité des formes de vie et de la bonne connaissance à adopter la perspective d’autrui. » [fin de la citation]
Quand une partie de ce monde que l’on a souvent tendance à croire si loin de nous s’invite de façon pressante dans notre quotidien, la perspective change. Pour envisager ce quotidien transformé, il faut alors être en mesure de reconnaître et de défendre les repères qui nous rassemblent et nous définissent en tant que société. Et l’exercice n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire : ce n’est pas une simple profession de foi, c’est une décision informée, éclairée et volontaire.
La nature complexe de cet exercice de citoyenneté s’explique en partie par certains aspects de l’univers dématérialisé et vaporeux dans lequel nous baignons de plus en plus en cette ère numérique. Un univers dans lequel l’hypercommunication mêle l’information et la désinformation en les rendant envahissantes instantanément et en tout temps, au point où elles deviennent une réalité universelle paradoxalement partagée de façon fragmentée, désincarnée, abstraite, inconséquente. Nous tentons de surnager dans un univers où la volatilité des opinions donne parfois l’impression que la démocratie valdingue plus qu’elle n’avance.
Nous devons admettre que cette ère de surcommunication et de sursocialisation encourage davantage la consommation que la participation. Les algorithmes fixent les paramètres de cette consommation et nous confinent dans des communautés de la « mêmeté » plus qu’ils n’encouragent la conscience sociale, l’ouverture aux autres et la véritable solidarité humaine. Comme l’écrivent Jean-François Fogel et Bruno Patio dans La condition numérique [et je cite] : « Un monde construit à partir de ce qui est familier est un monde où il n’y a rien à apprendre. » Ils notent aussi que : « L’ambition ultime et plausible d’un moteur de recherche est d’indiquer à chacun une question qu’il souhaite poser avant qu’il l’ait formulée. » [fin de la citation]
Je ne nie surtout pas que les plateformes numériques soient de merveilleux outils de communication, d’information et de partage, je suis moi-même un twitteur impénitent qui s’informe et diffuse quotidiennement avec ce média qui deviendra caduque comme les autres un jour ou l’autre.
Mais, malgré ces plateformes, nous avons de grandes difficultés à trouver des espaces pour discuter, pour penser, pour nous remettre en question, pour repenser notre vivre ensemble, pour contrer la négation des valeurs démocratiques, pour redéfinir le développement humain. La compassion et l’humanisme qui, un jour de drame mondialisé, se cristallisent en un phénomène viral qui nous conforte et nous interpelle peuvent, à tout moment, être mis à mal par d’autres phénomènes tout aussi viraux, mais porteurs, eux, de peur, d’intolérance et de déraison.
Et les exemples récents le démontrent avec acuité. Tout comme la crise des réfugiés syriens, les discussions de la Conférence de Paris sur le climat ont suscité à la fois de grandes déclarations sur une urgence d’agir – qui pourtant ne date pas d’hier – et des opinions frileuses sinon obscurantistes, qui se revêtent d’arguments économiques. Dans une économie numérique misant sur le pouvoir de la multitude, et plus précisément dans l’arène des médias sociaux, le progrès et la régression se confrontent, s’affrontent et se construisent des camps avec des moyens inégaux et des tactiques dont on est de moins en moins à même d’évaluer la portée réelle.
Que faire alors?
L’art, vecteur de développement durable : un mouvement d’origine citoyenne
Au quotidien, dans nos villes, dans nos quartiers, des artistes, des organismes artistiques, des bibliothèques publiques et autres lieux semblables offrent encore des espaces propices à l’exercice de la démocratie culturelle, des espaces où l’imagination, la création et l’innovation sont invités à participer à une redéfinition du développement humain. Les exemples d’affirmation de la pensée critique et de la responsabilité citoyenne par des artistes ne manquent pas, et je suis certain qu’elles se multiplieront encore davantage, notamment sur le front de l’environnement et du développement durable.
Je pense ici à la dramaturge et traductrice montréalaise Chantal Bilodeau, aujourd’hui installée à New York, qui a créé un blogue sur le travail des artistes et les changements climatiques et qui a fondé l’Arctic Cycle, une compagnie qui, un peu comme un centre d’observation international de recherche, coordonne le développement et la production de huit pièces de théâtre avec huit pays de l’Articque pour explorer les changements climatiques de ces pays. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, le travail qu’Alain Laroche et Jocelyn Maltais ont accompli avec leur collectif Interaction Qui pendant 35 ans a été remarquable pour susciter l’engagement social et créatif de la population envers l’environnement. Évidemment dans ce cas, l’arrêt récent de leurs activités, faute de fonds suffisants, nous montre, encore une fois, tout l’enjeu de la continuité, de la durabilité.
Dans le Mile-End, un projet, comme celui du Champ des possibles, par exemple, a permis aux gens d’un quartier de transformer le terrain d’une gare de triage abandonnée en parc, de convaincre la ville d’en devenir propriétaire et d’en faire un lieu de convergence pour les habitants de Montréal et de ce quartier. Le tout a commencé avec la volonté d’une artiste d’en faire un espace citoyen de création. Je pense aussi aux murs végétaux extérieurs à la Fonderie Darling qui ont amélioré la qualité de l’air et contribué au contrôle de la température en milieu urbain. Peu avant la Conférence de Paris, Équiterre et le Fonds mondial pour la nature ont demandé à un artiste inuit, Peter Ittukallak de Puvirnituq au Nunavik, assisté de Julien Doré, de réaliser un ours de glace pour conscientiser la population à la fonte des glaces et à son impact sur les conditions de vie des peuples du Nord et de la faune. Et il y a bien entendu la Tohu qui a non seulement une mission artistique, mais aussi environnementale : la Tohu participe à la réhabilitation du deuxième plus grand site d’enfouissement de déchets en milieu urbain en Amérique du Nord. Et l’art, la création artistique, est un moteur d’innovation et de progrès dans bien d’autres domaines. Je pense notamment au domaine de la santé et aux récentes recherches neurologiques sur les effets positifs de la musique auprès des personnes autistes. Je pense aussi à la conférence que donnait récemment Pierre Lassonde, le nouveau président du Conseil des arts du Canada devant la Chambre de commerce et d’industrie de Québec, dans laquelle il parlait de la communauté d’une petite île au nord-est des côtes de Terre-Neuve, Fogo, qui a réussi rien de moins que sa revitalisation en misant sur la volonté commune de ses habitants d’imaginer leur avenir et de miser sur leur force, leur créativité et leur diversité.
Je pourrais continuer de vous donner des exemples jusqu’à la fin de cette présentation pour illustrer – ou plutôt confirmer – que les arts et les artistes doivent faire partie des discussions qui déterminent notre présent et notre avenir et que les arts et la culture sont des vecteurs du développement durable du 21e siècle.
D’ailleurs, l’UNESCO, dont la mission est soutenue au Canada par la Commission canadienne pour l’UNESCO, qui relève, elle, du Conseil des arts, s’est donnée comme mission de le rappeler à ses nations membres. L’UNESCO a affirmé [et je cite]: « Placer la culture au cœur du développement est un investissement capital dans l’avenir du monde, la condition du succès d’une mondialisation bien comprise qui prenne en compte les principes de la diversité culturelle. » [fin de la citation]
Hier, aujourd’hui, demain : optimisme réaliste et convergence
Évidemment, vous me direz que je suis tombé dans la marmite culturelle il y a bien longtemps, mais, malgré cela, je crois que ma vision optimiste d’un avenir dans lequel les arts et la culture seront des joueurs déterminants est réaliste et de plus en plus à notre portée. À cet égard, le Conseil des arts du Canada peut être un catalyseur et un facilitateur. Nous annoncerons d’ailleurs demain une initiative qui mettra non seulement ce rôle que nous devons jouer mais aussi positionnera clairement les arts et la culture cœur de notre développement social. Le Conseil, tout comme la communauté artistique, croit que l’engagement du public envers les arts est essentiel à la vitalité et au dynamisme de la scène culturelle qu’il est essentiel pour combler les failles de notre société et, évidemment, en parlant de failles je renvoie ici à la mission de la Fondation Musagetes.
En préparant mes notes pour ce soir sur le rôle des arts dans notre société, je ne pouvais m’empêcher de repenser au Manifeste de la Fondation Musagetes, à laquelle je suis demeuré rattaché, manifeste que nous avons lancé en partenariat avec Culture Montréal, non loin d’ici en janvier 2007.
La Fondation Musagetes s’intéresse au rôle que peut jouer l’art pour combler les lignes de faille et les problèmes de plus en plus complexes qui minent la société actuelle, notamment [et je vous invite à écouter attentivement la liste des failles et problèmes recensés par la Fondation] :
- la préséance de l’instrumentalisme qui calcule le coût de toutes choses tout en en ignorant la valeur;
- le recours à l’économie comme unique instrument de mesure de la valeur;
- l’érosion du sentiment de « communauté » dans un monde dominé par l’individualisme et la crainte de l’« autre »;
- le manque d’intérêt, et même un certain mépris, pour tout ce qui est intangible et difficilement mesurable : les valeurs intrinsèques, les sentiments humains, l’esprit d’invention et d’imagination, la vie de l’esprit.
La Fondation Musagetes considère que l’égocentrisme et la pensée mécaniste contribuent à détacher les gens de leurs propres réalités intérieures et à les priver d’un sentiment partagé d’appartenance à la communauté humaine. [fin de la citation]
Aujourd’hui, j’aime croire que les problèmes énumérés il y a presque 8 ans, mais qui sont quand même toujours d’une criante actualité sont en voie de trouver des solutions créatives et innovatrices. N’essayez pas de chasser mon optimisme, car je vous garantis qu’il reviendra au galop et pour cause.
En octobre dernier, je participais au Sommet du réseau des villes créatives à Kelowna en Colombie-Britannique, sommet qui réunissait des planificateurs culturels municipaux de partout au pays et j’ai été saisi non seulement par la profondeur des discussions, mais aussi par leur volonté d’échanger, de collaborer pour mettre les arts au cœur du développement de leurs communautés et répondre aux enjeux auxquels ils fonts face et auxquels nous faisons tous face, soit : comment tirer parti des possibilités qu’offrent les technologies numériques? Comment encourager le partage des connaissances et des pratiques culturelles entre les générations? Comment renforcer les institutions culturelles et les rendre plus résilientes?
La volonté de convergence de pensée et d’action que j’évoquais tantôt était au rendez-vous. À Ottawa, où je suis maintenant basé, le résultat des élections fédérales est venu renforcer cette mouvance. Le nouveau gouvernement s’est engagé à réinvestir considérablement dans les arts et la culture, et a démontré symboliquement que les arts étaient à la table des discussions quand se prennent des décisions importantes en envoyant à la populaire émission Tout le monde en parle son ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté et sa ministre du Patrimoine canadien pour parler de l’accueil des réfugiés syriens.
Rendez-vous pour l’avenir
Je vous dirais que le Conseil des arts est fin prêt pour ce rendez-vous. En fait, nous nous y préparons depuis maintenant plus de 18 mois : non que nous avions prévu le moment et la forme qu’il prendrait – nous ne sommes quand même pas devins –, mais nous ne pouvions tout simplement pas cesser de l’envisager, car cette vision de la culture et des arts comme dimension de notre développement durable est une condition sine qua non de notre travail. Nous avons pris l’engagement de mettre les arts au cœur du développement de notre société.
Et pour ce faire, après près de 60 ans d’existence, nous avons décidé de nous soumettre à l’épreuve de la pertinence. Cette épreuve vise l’adhésion citoyenne, car elle est fondamentalement liée à notre mandat, soit favoriser et promouvoir l’étude, la valorisation, la reconnaissance et la diffusion des arts dans la société.
Mais comment s’assure-t-on de jouer un rôle pertinent? La démonstration de notre pertinence doit être faite auprès des artistes, du grand public, des décideurs politiques et de tous nos partenaires actuels et potentiels. Le financement public de l’art, dans une démocratie, doit être expliqué, justifié, débattu et défendu. Ses impacts directs et indirects sur les droits culturels, le développement social, l’éducation, la vitalité économique, le rayonnement international, les identités, la santé et autres ne peuvent pas ne pas être pris en compte dans cette discussion publique. Voilà comment se pratique la démocratie culturelle. Avec le financement public viennent des considérations et des responsabilités publiques. Et nous avons pris nos responsabilités en misant sur une transformation porteuse pour l’avenir.
Comme vous le savez sans doute, le 4 décembre dernier nous avons partagé avec la communauté et le grand public plus de détails sur les travaux en cours de notre transformation, dont la première étape est la mise en place d’un nouveau modèle de financement qui comprend 6 grands programmes et non plus 147. Et ces détails ont été grandement partagés et repartagés au sein de la communauté.
Ce nouveau modèle de financement n’est pas un exercice pour réaménager nos fonds. Il s’agit plutôt de saisir avec précision les attentes, d’explorer de nouveaux territoires et de démontrer des résultats. Je l’ai répété à maintes reprises, et je le répète, il s’agit de détourner notre attention d’un exercice consistant à dicter la façon dont les arts devraient être créés pour porter celle-ci sur les façons de donner aux artistes et aux organismes artistiques les moyens de prendre en main leur propre quête d’excellence et de maximiser, à leur façon, leur impact sur la société.
Je crois que notre programme « Créer, connaître et partager : arts et cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis » illustre parfaitement notre intention. Ce programme repose sur une approche centrée sur les Autochtones et leur volonté d’autodétermination. Il sera guidé par leurs valeurs et leurs visions du monde. Ce programme pourra à la fois contribuer à enrichir les mouvements nationaux et internationaux pour les droits autochtones et s’inspirer de ceux-ci. Ce programme peut définitivement avoir une influence considérable à l’échelle des communautés — notamment des communautés autochtones où le pouvoir guérisseur des arts et l’identité culturelle sont fortement enracinés.
Cela dit, nous ne voulons pas seulement financer l’innovation. Nous voulons prêcher par l’exemple. Et un exemple probant de notre détermination à être en adéquation avec la société est l’initiative {Ré}conciliation, conçue en partenariat avec la Fondation de la famille J.W. McConnell et Le Cercle. Cette initiative vise à promouvoir la collaboration artistique entre des artistes autochtones et non autochtones en investissant dans le pouvoir des arts et de l’imagination pour nourrir le dialogue, la compréhension et le changement, et cela, avant la publication du rapport de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada. Nous sommes à un moment déterminant de notre histoire : la relation entre les Autochtones de ce territoire et l’État canadien constitue, selon plusieurs, l’enjeu de notre époque, et les arts ont un rôle important à jouer. Et nous les appuyons pour qu’ils le jouent.
L’ampleur de notre transformation va donc au-delà du financement et vise à donner un rôle plus prépondérant aux arts dans la société, un rôle qui correspond tout à fait à celui de l’Agenda 21. Nous voulons promouvoir toujours plus l’équité et la diversité des expressions culturelles, nous voulons aussi renforcer tout ce qui a trait à l’engagement du public envers les arts pour que les arts fassent partie du quotidien de tous.
Et c’est pourquoi nous avons clairement intégré ces aspects aux critères de financement des organismes que soutient le Conseil des arts du Canada en tenant compte de leur échelle opérationnelle, de leur mission et de leur ancrage dans leur ville ou communauté.
Bref, la transformation que nous envisageons aura des effets au sein du Conseil, de la communauté artistique, de la clientèle actuelle du Conseil et de la population.
Créateurs de contenu et d’avenir
Mais « favoriser la production d’œuvres d’art et promouvoir les arts » ne va pas de soi au moment où la surabondance des contenus disponibles atteint des proportions inimaginables et que les habitudes d’engagement envers les arts changent radicalement.
Nous devons replacer le soutien aux arts et l’encouragement à la fréquentation des arts dans une perspective sociale en faisant de ceux-ci des clés du développement humain durable, et cela, à toutes les échelles.
En fait, si vous ne savez pas par où commencer, commencez tout simplement.
Dans un livre d’Astra Taylor que j’ai lu récemment The People’s Platform: Taking Back Power and Culture in the Digital Age, traduit en français sous le titre Démocratie.com : pouvoir, culture et résistance à l’ère des géants de la Silicon Valley, l’auteure y traite de l’abondance de l’offre culturelle que permet la technologie et nous met en garde sur cette abondance en soulignant qu’une offre culturelle n’est bonne que si le sol où on la cultive l’est. Elle souligne que le travail le plus virtuel qui soit est produit par des personnes qui créent dans un contexte social réel. [et je cite]
« Nous sommes des êtres enracinés : nous créons dans un contexte social, labourant les terres communes dans l’espoir que notre travail porte ses fruits. Il n’en tient qu’à nous d’enrichir ou d’épuiser ces sols, de veiller à ce qu’ils produisent des aliments diversifiés et nutritifs ou de laisser les monocultures, prévisibles, prendre toute la place. » [fin de la citation] [Taylor, p. 248]
Il s’agit là d’une métaphore puissante sur la valeur de notre travail, de votre travail. Cela signifie que, dans une société mondiale où les frontières géographiques sont de plus en plus floues, nos communautés physiques sont plus importantes que jamais. J’ajouterais à cela que les plateformes numériques créent rarement du contenu, ce sont leurs utilisateurs qui le font. Tout comme au Siècle des lumières ou à n’importe quelle période prétechnologique, les créateurs, à l’ère numérique, demeurent créateurs de contenus riches et inspirants.
L’art, c’est nous
Le Conseil des arts du Canada est un facilitateur et un catalyseur de la création artistique et de l’innovation culturelle. Il cherche à repérer, évaluer et cultiver l’excellence à l’échelle nationale aux bénéfices de centaines de communautés, de villes, de régions et au profit de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens. En raison de son autonomie décisionnelle, de sa connaissance de la réalité culturelle et de la situation exceptionnelle dans laquelle il se trouve aujourd’hui avec un budget qui n’a reçu aucune coupe et dont le gouvernement Trudeau promet un doublement – un cas unique au monde –, le Conseil est donc un des outils de premier plan dont dispose le Canada pour stimuler la créativité individuelle et collective de ses citoyens et pour susciter l’innovation dans de nombreux domaines de développement humain.
Traitez-moi de rêveur si vous voulez (attendez la période de questions) ou d’optimiste incurable, je persisterai à vous inviter toutes et tous à ce rendez-vous qui, je l’espère, sera historique pour notre avenir et un mieux vivre ensemble inspirant.
J’espère sincèrement que nous sommes à l’aube d’un avenir où les citoyens d’ici diront avec conviction et engagement, l’art, c’est nous.
We are art and art is us
The Canada Council for the Arts is a facilitator and a catalyst of artistic creation and cultural innovation. We strive to discover, evaluate and cultivate excellence on a national scale for the benefit of hundreds of communities, cities and regions, and for the enjoyment of all Canadians. Our decision-making autonomy. Our extensive knowledge of the cultural reality. And our exceptional situation today, with a budget that has seen no cuts and which the Trudeau government has promised to double – a case that is unique in the whole world. All this makes the Council one of the front-line tools available to Canada for stimulating the individual and collective creativity of its citizens and inspiring innovation in the many realms of human development.
Call me a dreamer (wait for question period) or an incurable optimist, but I will continue to invite each and every one of you to this rendezvous, which I believe will be historic for our future and inspirational in developing richer and fuller lives together.
I sincerely hope that this is the dawn of a future where Canadian citizens will say with conviction and engagement: “Art is all of us.”