Concilier l’art et les soins aux personnes âgées

Dans un projet unique mis en œuvre en Colombie-Britannique, le pouvoir de la créativité est mis au service d’une meilleure santé.

Lorsque Chad Hershler s’est installé dans une petite communauté de la Sunshine Coast, en Colombie-Britannique, il y a 17 ans, il ne pouvait pas imaginer que ce changement l’amènerait un jour à explorer les façons dont l’art peut soutenir un système de santé en crise.

C’est pourtant exactement ce qu’il fait aujourd’hui avec un projet unique appelé Who Cares?.

Chad et son épouse Sandy sont les cofondateurs d’un organisme artistique hors du commun appelé Deer Crossing the Art Farm qui utilise la créativité pour créer des liens avec la communauté locale. Un jour, l’inspiration les a amenés à collaborer avec un centre d’hébergement dans la communauté de Gibsons.

« Nous avons remarqué les retombées positives de l’engagement créatif sur les personnes atteintes de démence, leurs partenaires de soins et le personnel soignant, explique Chad. Nous nous sommes demandé comment nous pourrions étendre cette pratique, mais nous ne voulions pas imposer un autre programme à un système de soins surchargé. Quand nous avons compris que d’autres personnes ressentaient la même chose, nous avons focalisé notre énergie sur la communauté. »

Grâce à du financement fédéral du Fonds d’innovation sociale destiné aux collèges et aux communautés, Chad et ses partenaires de l’Université d’art et de design Emily-Carr, du Collège Douglas et de la Seniors Planning Table ont lancé un projet de recherche communautaire innovateur de trois ans.

L’objectif était d’utiliser l’art et le design pour motiver plus de membres de la communauté à participer aux soins des personnes âgées, soulageant ainsi les points de pression existant dans les milieux de soins traditionnels.

« La création artistique est un vecteur de changement », explique Chad.

« Ce projet ne vise pas à intellectualiser une solution à un problème. C’est plus viscéral que ça. La créativité permet à des liens de se former dans les communautés et est un moyen puissant de cultiver des relations. »

Si l’idée de marier le monde non linéaire de l’art et l’univers plus linéaire de la recherche peut sembler contre-intuitive, c’est une pratique qui fait son chemin et se concrétise dans beaucoup d’autres communautés.

Par exemple, à Comox Valley, en Colombie-Britannique, un partenariat entre une galerie d’art locale et un collège a permis de mieux comprendre la crise des décès par intoxication aux drogues. Et au Québec, un partenariat entre la science et les arts du cirque jette une nouvelle lumière sur la gestion de l’écosystème du fleuve Saint-Laurent.

En fait, depuis que le Conseil des arts du Canada est devenu un partenaire du Fonds d’innovation sociale destiné aux collèges et aux communautés, dix projets de recherche fondés sur les arts ont été financés dans différentes régions du pays.

« Ces projets visent à résoudre des problèmes sociaux vastes et complexes, explique Marilyn Desrosiers, directrice du programme Appuyer la pratique artistique du Conseil des arts et responsable du Fonds d’innovation stratégique. Ils permettent au secteur artistique de mettre ses connaissances et ses façons de faire à contribution afin de favoriser des changements dans la société en tirant profit du pouvoir de la créativité. »

Entretemps, sur la côte ouest, Chad et ses partenaires mettent en branle de nouvelles activités de projet dans la communauté locale et évaluent celles qui ont été menées à terme.

« Nous avons essayé différentes activités créatives pour mobiliser les gens et les encourager à partager leurs expériences des soins aux personnes âgées, notamment des événements éphémères et des installations interactives dans une banque alimentaire, au centre commercial et dans des entreprises locales », explique Chad.

S’il faut parfois bien choisir ses mots pour que les gens se sentent à l’aise de collaborer avec un groupe artistique professionnel, au bout du compte, l’attrait visuel fort et la convivialité propre aux activités créatives sont, selon Chad, un facteur d’attraction important.

Une installation récente intitulée The Listening Tree et visant à recueillir des commentaires de la communauté a réellement interpellé les gens. Cette expérience interactive visuellement forte a attiré un public varié – gardiens de sécurité et élèves de la 8^e année, entre autres. Dans le cadre de cette initiative, on a demandé aux membres de la communauté de noter sur des feuilles d’arbres leurs réponses à des citations et à des questions sur les soins aux personnes âgées.

« Nous disposons maintenant de données de recherche provenant de la communauté que nous pouvons analyser. Mais surtout, nous avons des récits d’expériences vécues que nous pouvons redonner aux gens, et une nouvelle compréhension de l’importance de construire des relations et de promouvoir la collaboration que nous pouvons transmettre aux décideurs politiques. »

Alors, cela changera-t-il quelque chose pour les patientes et patients et les soignantes et soignants que Chad a vus pour la première fois au centre d’hébergement il y a de cela plusieurs mois?

« Le projet n’est pas encore terminé, mais les changements que nous avons commencé à voir ont de quoi soulever l’enthousiasme », explique-t-il.

Ces changements concernent notamment les liens entre certains organismes et décideurs politiques responsables des soins aux personnes âgées. Il y a aussi plus de respect pour les relations qui ont été bâties avec les membres de la communauté et une reconnaissance du fait qu’on ne peut pas régler de vieux problèmes en utilisant de vieux outils.

« Nous travaillons toujours à renforcer la crédibilité de ce genre d’approche innovatrice de la résolution de problèmes, mais ce projet démontre bien le rôle des arts dans l’impulsion de changements sociaux, et nous n’aurions pas pu le mettre sur pied sans nos partenaires et sans soutien financier. »