Dans les coulisses d’Onde de choc
par Jenn Goodwin, commissaire
L’exposition est en cours depuis un bon moment déjà, et j’ai eu du temps pour réfléchir. Ces jours-ci, je pense à ce qui s’est passé en coulisse et qui a permis la réalisation de l’exposition. Comme Onde de choc s’intéresse à la danse, et comme j’ai fait carrière dans cette discipline, j’aime bien songer à ce qui se passe dans les coulisses. J’ai toujours été fascinée par ce qui se trame derrière les rideaux, et j’ai tiré profit de cet intérêt dans ma pratique artistique, autant comme danseuse que comme cinéaste. Chaque exposition, chaque spectacle, chaque danse (et même chaque journée) comportent leur lot d’histoires et de détails inédits. Des aspects qui demeurent privés, cachés, inconnus, revus et corrigés. Dans le cas d’Onde de choc : corps et paysages, je souhaite partager avec vous quelques histoires qui ne seraient autrement connues que par ceux et celles qui ont travaillé de près à monter l’exposition. De petits moments et mouvements qui m’ont marquée.
Prière de ne pas pleurer sur les œuvres d’art
Durant l’installation, je ne pouvais empêcher mes yeux de s’emplir de larmes lorsque je regardais la multitude de petits chandails de laine monochromes et rétrécis de l’œuvre d’Aganetha Dyck intitulée Close Knit. La vulnérabilité de chaque chandail, qui offre un contraste avec le soutien collectif offert par le groupe, me touchait énormément. Un des techniciens de la Banque d’art, Steven Allen, m’a révélé que c’était très touchant pour lui aussi, car il devait travailler avec chaque chandail, un à la fois. Chaque vêtement possède sa propre personnalité, son histoire, son style et une présence bien à lui. Chacun d’entre eux semble singulier, important, et plein de tendresse. L’œuvre est aussi un peu triste : ce sont de minuscules chandails, vides… À qui appartenaient-ils? Où leurs propriétaires sont-ils maintenant? L’œuvre est également remplie d’espoir. J’y voyais une véritable colonne vertébrale pour l’exposition. Elle reflète l’idée des membres de la communauté de la danse (ou de toute autre communauté) qui s’appuient les uns sur les autres, qui se tiennent, sans faire de vagues; il s’en dégage une puissance, une force et une sensation d’unité. Les instructions de l’artiste pour l’installation ne précisent pas quel chandail doit aller où, alors il revient à l’installateur et à la commissaire de décider lequel s’appuie sur lequel (ou qui s’appuie sur qui). Steven a accompli cette merveilleuse tâche avec beaucoup de soin, chandail par chandail, tandis que je l’observais, en tentant de retenir mes larmes.
Il faut que la vie se vive
Je suis une admiratrice d’Angela Miracle Gladue depuis quelque temps déjà, après l’avoir vue performer avec A Tribe Called Red, après avoir entendu parler d’elle de la part d’autres artistes, et après avoir fait des recherches en ligne sur cette danseuse, pédagogue, artiste du perlage et nouvelle maman. Dans cette exposition, elle nous présente l’un de ses châles d’apparat et une toute nouvelle radiocassette perlée. Elle combine ainsi ses compétences et son art issus de ses cultures des Premières Nations et du hip-hop. Ce sont des objets faits pour être portés, et on peut voir la poussière qui s’est accumulée sur les franges au bas du châle après qu’Angela Miracle Gladue eut dansé à l’extérieur. Les techniciens et membres du personnel savaient que de nettoyer le châle diminuerait son authenticité. Il est parfait tel quel. Il faut que la vie se vive. Je n’ai pas donné beaucoup d’instructions quant à la manière de présenter ces œuvres, à part qu’elles devaient avoir l’air en vie. Le conservateur Christopher McKay a créé un système pour suspendre le châle et la radiocassette : un système qui est une œuvre d’art en soi. Il a ramolli du bois pliable et l’a façonné en forme d’épaules pour tenir le vêtement et lui donner forme. Il lui a aussi laissé du jeu pour qu’il bouge un peu, ce qui va à l’encontre de l’immobilisme souvent imposé aux œuvres par les galeries d’art.
Un peu de cérémonie
Le panneau explicatif de Melting, Mourning and a Series of Impossible Tasks, danse chorégraphiée par Brandy Leary et interprétée par Ess Hoedlmoser, a été installé tout de suite après la performance de la soirée d’ouverture, et pas plus tôt. Il fallait le faire à ce moment-là, parce que l’œuvre n’« existait » pas auparavant. Le moment où le panneau a été placé sur le mur était merveilleux et empli de cérémonie. Un beau geste de Mike Steinhauer (gestionnaire, Expositions et diffusion) et de Steven Allen.
À la recherche de la terre parfaite
C’était un honneur d’assister à la performance d’Ess Hoedlmoser, et la terre sur la plateforme témoigne aujourd’hui des formes créées ce soir-là (même si depuis, un message d’amour [on vous aime aussi!] a été trouvé inscrit dans la terre, ce qui a donné lieu à l’installation d’une affiche « Interdiction de toucher »). Avant la performance, nous avons eu beaucoup de discussions sur la terre à utiliser, sa composition, son origine, son effet sur l’interprète, etc. Quand on achète de la terre d’un centre de jardinage, celle-ci comprend-elle des produits chimiques, du fumier, des bactéries, des vers de terre? Est-ce que cela pourrait nuire à l’artiste? Est-ce qu’il y aura des odeurs? Et quel est le sens d’un sol récolté de cette façon? Est-ce qu’on pourrait aller chercher de la terre à différents endroits d’Ottawa pour lui donner plus de signification? Nancy Smith (adjointe, Expositions et diffusion) s’est rendue dans une pépinière locale de confiance, et la terre est arrivée le jour suivant dans un bac de plastique – pure et prête à passer à l’action. Notre intention était d’apporter la terre dans l’institution, et de voir l’institution y répondre. Ainsi, en prévision de la performance, Ess et moi avons cérémonieusement couvert la plateforme de terre, en ajoutant aussi des fioles de terre que Mike Steinhauer avait remplies méticuleusement à différents endroits dans la ville d’Ottawa et la ville de Gatineau, pour équilibrer la nécessité d’avoir une signification particulière, et les besoins associés à la logistique.
Et les dates?
Nous avons aussi eu de nombreuses conversations à savoir si la date de naissance des artistes devait être incluse dans les cartels de l’exposition. Pourquoi est-ce important? Est-ce une pratique datée et coloniale? Tedd Robinson (artiste de la danse et moine zen, qui a fourni balancing excerpted, 2012, à l’exposition) l’a très bien dit : « Cela ne me dérange pas vraiment que ma date de naissance soit là, mais je pense que la pratique n’est pas pertinente, à moins que l’artiste soit décédé. […] Le corps et l’esprit sont anciens, Jenn. […] Je ne crois pas que cela importe vraiment, si quelqu’un pratique son art, comme on dit, dans le moment présent, il n’y a pas de temps, il n’y a pas d’âge. » La cinéaste Michelle Latimer, dont l’œuvre Nimmikaage: She Dances for People, 2015, fait aussi partie de l’exposition, a indiqué : « Je n’accepte jamais que ma date de naissance soit incluse dans mes œuvres présentées en galerie. Mais n’hésitez pas à mentionner ma nation : Algonquin/Métis. »
Anonymat et noms connus
La calq, un collectif d’artistes anonymes, a fourni The Names of Dancers, 2018 pour Onde de choc. Au fil de mes recherches – et après avoir eu des conversations avec des représentants du groupe, je me suis rendu compte que je les connaissais! Mais je ne révélerai jamais leur identité. J’adore voir des artistes de la danse visiter l’exposition et s’emballer lorsque leur nom est projeté sur le mur : un clin d’œil et monument vivant en l’honneur des nombreux artistes de la danse de l’ensemble du pays.
Se soucier des détails
Alors que je faisais des recherches en vue de cette exposition, c’est l’œuvre The Widow de Shary Boyle qui a déclenché mon inspiration pour la suite des choses. L’œuvre montre un personnage semblable à Atlas qui tient le poids du monde sur son dos. Cela m’a frappée : voilà une illustration des nécessités et des fardeaux qui surviennent lorsqu’on se soucie de quelque chose ou de quelqu’un, et qu’on en prend soin. Et cela concerne tout un éventail de réalités. Tangibles et intangibles. Sur scène et hors de la scène. Une énorme partie de l’exposition repose sur des détails invisibles, qui se combinent pour veiller à ce qu’il y ait une interaction entre les œuvres, la terre, l’espace et la communauté. J’ai un grand respect pour les concepteurs, les techniciens, les installateurs, les producteurs et les administrateurs, qui sont eux-mêmes des artistes. Avec toute la sensibilité dont ils font preuve dans leur métier, ils ont su maîtriser les aspects tant matériels qu’éphémères de la danse, et ont créé une exposition durable marquée par la collaboration et le souci de bien faire.