Le Conseil des arts présente
Du 20 février au 9 juin 2019
Seuils propose l’expérience d’un transit. L’exposition rappelle la vélocité de nos trajets urbains, ces microcoupures dans l’espace-temps du quotidien. L’installation requalifie la mécanique interne de dispositifs d’ouverture des anciennes voitures du métro de Montréal qui fut inauguré pour l’Exposition universelle de 1967. Maintenant remplacées par des équipements plus modernes, les voitures MR-63 aujourd’hui obsolètes ont marqué l’imaginaire du déplacement collectif à Montréal. Survivant au cycle de consommation, l’œuvre contribue à maintenir vibrante cette mémoire technique. Il s’agit ici d’une forme d’investigation d’autres mondes possibles à partir des vestiges de celui-ci.
Seuils
Voici un avant-goût de Seuils, l’œuvre de Michel de Broin. L’artiste y explique brièvement l’origine de sa création, et nous fait découvrir les dessous de son assemblage.
Rendez-nous visite, interagissez avec l’œuvre, prenez un égoportrait et partagez-le dans vos réseaux avec le mot-clic #Seuils.
Commentaire de la commissaire
Seuils est une installation interactive se présentant comme un parcours que le public est invité à expérimenter. Une traversée qui n’est pas sans rappeler la vélocité de nos trajets urbains : microcoupures dans l’espace-temps du quotidien.
Formée d’une douzaine de portes de voitures de métro, l’œuvre s’active en présence du visiteur : elle lui cède littéralement le passage alors qu’il s’avance et la traverse. Les composantes de l’œuvre proviennent des véhicules MR-63 qui ont marqué l’imaginaire du déplacement collectif à Montréal. Le projet artistique contribue ainsi à maintenir vibrante cette mémoire technique. Les vieilles voitures ont fini leur vie utile dans un centre de récupération où elles ont été déchiquetées et les matières recyclées à grand coût environnemental. Dans nos sociétés consuméristes, l’obsolescence des objets technologiques s’accélère dans un processus de dépréciation des formes du passé. L’histoire des développements techniques que contient chaque avancée est rapidement disqualifiée dans des chaînes d’innovation disruptives. Les pièces réutilisées après une période d’inactivité contiennent pourtant un trésor d’inventivité humaine et racontent cette histoire. Démonter un mécanisme devenu obsolète et le remettre en route est fascinant, parce que cette dislocation met à jour le savoir-faire humain, et révèle comment celui-ci s’exerçait à une époque donnée.
À l’approche du visiteur, une première porte s’ouvre pour l’inviter à pénétrer l’installation, puis dans un enchaînement simultané, les portes cèdent et se referment derrière lui suivant son déplacement dans cet espace transitoire. C’est par l’usage de capteurs que cette succession d’ouvertures et de fermetures mécanisées se synchronise sur son passage : anticipant une présence, Seuils déploie son système d’interaction dans un mouvement ondulatoire fluide. Deux époques se rencontrent et convergent, la technologie récente des circuits intégrés gouverne des éléments mécaniques d’une autre ère. Exposé à la vue du public, le mécanisme de chacune des portes coulissantes est encastré dans un boîtier de plexiglas, le montrant ainsi à l’œuvre lors du passage. Optant pour la transparence, l’installation conserve et requalifie la mécanique interne des dispositifs originaux, la mettant en valeur et réaffirmant l’innovation lovée en dormance au cœur de l’obsolescence.
Nu, au seuil
Nathalie Bachand
La traversée de Seuils, installation interactive de Michel de Broin, se poursuit au-delà de la dernière des douze portes de métro automatisées MR-63. Passé le dernier dispositif d’ouverture, c’est une image qui nous attend et dans laquelle nous « entrons ». Une image est aussi un espace. On n’y entre pas de la même manière que dans un lieu physique, mais on y pénètre néanmoins. On observe un environnement, on y retrouve certains repères, ou pas, on en évalue les limites, on s’y projette.
Nu (1998) est une photographie de Michel de Broin – présentée dans une boîte lumineuse de très grand format – prise à l’intérieur de la station de métro Crémazie à Montréal. On y reconnaît certaines caractéristiques, notamment la céramique de camaïeu marron beige. Ce qui capte le regard cependant, ce sont surtout les surfaces ocre, qui interrogent et subliment l’œil tout à la fois. Il s’agit de panneaux publicitaires vides, captés juste avant l’installation de publicités. L’image représente un moment intermédiaire, un instant d’entre-deux où le temps est en suspens. C’est aussi un espace-temps de possibilité qui permet à chacun – à chaque regardeur – d’y inscrire quelque chose qui lui appartient en propre. Dans ce cas-ci, le regardeur arrive devant l’image avec un certain bagage : l’expérience du passage de Seuils ou du moins celle de sa proximité, d’avoir envisagé une interaction ou d’avoir observé celle de quelqu’un d’autre.
La cohabitation de Seuils et Nu dans l’espace de la galerie relève d’une dynamique de contiguïté : les œuvres se prolongent l’une l’autre, elles partagent un espace liminaire où l’une peut agir sur l’autre, sous forme d’aller-retour. C’est à travers notre regard qu’elles interagissent. On pourrait parler d’une porosité perceptive, faisant en sorte qu’on ne peut voir la photographie sans simultanément voir l’installation, comme en transparence, et inversement. La différence très marquée entre les deux « médiums » contribue à cette perméabilité dans la perception des œuvres : l’aspect bidimensionnel de la photographie apporte une ampleur à la réalité matérielle, très physique de l’installation. À l’inverse, l’installation s’incarne dans l’espace de l’image : la prolonge dans un hors champ, un angle mort.
Créées à vingt ans d’intervalle, Seuils et Nu sont des œuvres qui se répondent comme le feraient deux échos au croisement d’une temporalité hybride. La notion de transit, de déplacement et l’entre-deux que cela représente se retrouve régulièrement au cœur de la pratique de Michel de Broin. On peut penser à plusieurs de ses projets d’art public (Dendrites, 2017; Révolution, 2010; Shared Propulsion Car, 2005; Entrelacement, 2001) ou à la série photographique Silent Shouts (2008) qui capture des moments où la présence de passagers en transport en commun se superpose à celle de graffitis gravés dans les fenêtres. Qu’il s’agisse d’image, d’intervention ou d’installation, ces œuvres proposent des espaces à investir. Chacune à leur manière, elles se laissent parcourir de corps comme de regard. C’est une interaction à la fois implicite et explicite qu’elles proposent. Et si Seuils se présente comme une expérience très concrète, où nos pas ouvrent les portes, une à une jusqu’à la dernière, Nu – comme expérience visuelle – n’est pas moins tangible : seulement, elle nous traverse différemment.
À propos de l’artiste
Michel de Broin approfondit sa pratique interdisciplinaire en développant un vocabulaire visuel en constante expansion. Son approche de la production explore les intersections entre les systèmes technologiques, biologiques et physiques. En construisant des relations imprévues entre déchets, productivité, consommation et risque, de Broin remet en question la valeur d’usage et les associations d’objets et de symboles familiers : il leur insuffle un sens inédit et aménage de nouveaux contextes.
Son travail a été exposé au Musée d’art contemporain de Montréal; au Musée d’art contemporain du Val-de-Marne (France); au Künstlerhaus Bethanien (Berlin); au Plug-In Institute of Contemporary Art (Winnipeg); au Musée Tinguely (Bâle); au Centre d’art Villa Arson (Nice); Eyebeam (New York) et au Musée d’art Hessel (New York). Plusieurs musées et collections publiques ont fait l’acquisition de ses œuvres, notamment le Musée des beaux-arts du Canada; l’Art Gallery of Ontario; le Musée des beaux-arts de Montréal; le Musée national des beaux-arts du Québec; la Ville de Montréal; le FRAC Poitou Charentes (France); et le Neuer Berliner Kunstverein (Allemagne).
Ses œuvres d'art public et ses commandes incluent Dendrites (Montréal, 2017); Seuils (Montréal, 2017); Interlude (Québec, 2016); Bloom (Calgary, 2016); Possibilities (Mississauga, 2012); Interlace, (Changwong, 2012); Majestic (Nouvelle-Orléans, 2011); Revolution (Rennes, 2010); Arc (Montréal, 2009); La maîtresse de la tour Eiffel,(Paris, 2010); Overflow (Toronto, 2008); Encircling, (Christchurch, 2006); Shared Propulsion Car (New York, 2005), (Toronto, 2007); Révolutions (Montréal, 2003).
Gagnant du Sobey Art Award 2007, de Broin a également reçu du soutien du Conseil des arts du Canada, de la Harpo Foundation (Los Angeles) et de la Krasner-Pollock Foundation (New York). Il a également obtenu une résidence à l’International Studio & Curatorial Program (New York), au Studio Acme du Kunstlerhaus Bethanien (Londres) et à la Villa Arson (Nice). Il est représenté par la Galerie Division, située à Montréal.
À propos de la commissaire
Nathalie Bachand écrit régulièrement sur les arts visuels et médiatiques.
Récemment, elle a été commissaire de l’exposition de groupe The Dead Web – La fin, présentée à Eastern Bloc et du projet de 32 expositions UN MILLION D’HORIZONS du réseau Accès culture pour le 375e de Montréal qui avait lieu à l’été 2017.
Elle est actuellement co-commissaire du festival Espace [IM] Média du Centre en art actuel Sporobole pour lequel elle écrit aussi des essais qui abordent les relations entre les arts et la science.