Collage de photographies où deux femmes portant des robes et des coiffes colorées se tiennent debout dans le désert, un métier à tisser dans les mains.

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18 mai 2023
Image tirée du projet d'Adhel Arop, Katiba Banat: Sisters in Arms, financé par le Conseil des arts du Canada. Photo : Djeneba Aduayom (photographe) et Sohani Holland (tissage de Sohani Designs)
 

D’un même souffle : le regard d’Adhel Arop sur les enfants soldats du Soudan du Sud

18 mai 2023

« Je viens d’un traumatisme. Ma compréhension, je la puise dans mon expérience. Je suis une artiste, et je peux ainsi exprimer des choses que d’autres ont parfois du mal à exprimer. Et je suis reconnaissante de pouvoir le faire. »

Adhel Arop explore les expériences de sa mère, vécues lorsqu’elle était enfant soldat au Soudan du Sud, et ce qu’elles ont vécu par la suite, notamment les effets intergénérationnels des traumatismes, dans une nouvelle série documentaire ayant bénéficié d’une subvention du programme Explorer et créer du Conseil des arts du Canada. Sa série, Katiba Banat: Sisters in Arms*, présentera également les histoires d’autres anciens enfants soldats avec qui sa mère, Amel Madut, a gardé contact. Il s’agit d’autres femmes, aujourd’hui adultes et vivant partout dans le monde, qui étaient à l’époque de jeunes orphelines déplacées. Voici une partie de l’histoire qu’Adhel a racontée au Conseil :

Adhel Arop est une créatrice, une mannequin et une artiste multidisciplinaire. Son œuvre comprend Who Am I?*, un documentaire acclamé dans le monde entier portant sur ses expériences de guérison, de beauté, d’identité, d’immigration, ainsi que d’expression dans la langue maternelle de sa famille (celle du peuple Dinka), ce qui lui a permis d’avoir accès aux histoires de sa mère. Après son immigration d’un camp de réfugiés kényan à Burnaby, en Colombie-Britannique, Adhel se fait poser par sa tante une question qui déclenche sa quête créatrice : « Sais-tu qui est ta mère? »

Amel, la mère d’Adhel, parle rarement de son expérience d’enfant soldat au sein de l’Armée populaire de libération du Soudan pendant la deuxième guerre civile du pays. Les conditions dans les camps d’entraînement étaient épouvantables; de nombreux enfants meurent de maladie, de famine ou de négligence, ou sont tués au combat. Après avoir marché pendant trois mois pour fuir la guerre avec d’autres enfants, la mère d’Adhel a vécu des horreurs, de la tristesse, de la peur et du désespoir inimaginables après avoir été recrutée.

Pour Adhel, la quête de sa propre identité a commencé le jour où elle a soulevé le voile sur l’histoire de sa mère pour essayer de la comprendre. Maintenant documentariste établie, elle continue d’explorer la narration pour favoriser la compréhension et le changement positif. En découvrant l’histoire de sa mère, Adhel a pu commencer à écrire la sienne.

Trois hommes sont debout devant un ciel blanc.
Image tirée du projet d'Adhel Arop, Katiba Banat: Sisters in Arms, financé par le Conseil des arts du Canada. Photographe(s) : Lois Arop

Née au Kenya, puis ayant vécu dans un camp de réfugiés au Soudan dans les années 1990, Adhel a déménagé à Burnaby, en Colombie-Britannique, dans un quartier abritant un grand nombre de personnes déplacées de différents pays. Tout le monde avait une histoire à raconter.

« Quand j’étais enfant, je savais que la guerre existait, qu’elle était tout autour de moi, que les gens avaient vécu des traumatismes, explique Adhel. Je ne comprenais pas ce qui se passait, mais je pouvais percevoir les tensions. Et je voulais savoir pourquoi les gens étaient comme ils étaient. »

Adhel a commencé à discuter avec ses voisins et sa famille de leur passé, de leurs expériences et de leurs histoires, et elle a ressenti leur douleur. En tant que créatrice, elle a trouvé sa liberté et son expression de guérison par la poésie, la musique, la performance, le mannequinat, la photographie, la danse et le cinéma.

Dans tous ses projets artistiques, Adhel adopte une approche multidisciplinaire, alliant la photographie, la poésie, le portrait, le cinéma et les compétences linguistiques (elle parle couramment six langues).

Adhel Productions* a produit la docusérie Katiba Banat: Sisters in Arms*, qui sortira à l’automne 2023. En arabe, Katiba signifie « bataillon » et Banat signifie « féminin ». La docusérie met en vedette un groupe de Soudanaises qui se sont réunies au Canada en octobre 2022 pour discuter de leur passé d’enfants soldats.

Parmi ses souvenirs de la réunion, Adhel se rappelle une femme assise dans un coin sur un banc. Adhel était assise à côté d’elle. La femme a pris sa main et a dit : « J’ai toujours voulu raconter mon histoire. J’attendais seulement que quelqu’un me le demande. »

« Ces femmes attendent le moment où elles pourront enfin être entendues, vues et comprises, souligne Adhel. Chaque fois qu’une femme raconte son histoire, nous vivons toutes des moments de catharsis et de guérison. Nous pleurons. Nous exprimons notre chagrin. À la fin, elle respire, et nous respirons ensemble. »

Adhel affirme que Katiba Banat traite des traumatismes de chacun. « En tant qu’humains, nous ne pouvons pas séparer les expériences. La guerre du Soudan en 1983 a changé le cours de l’histoire – pas seulement pour la nation, mais pour toute une génération. Ce sont les enfants, les mères, les grands-mères de tout le monde. C’est une histoire universelle. »

Elle ajoute : « Plus de 30 ans se sont écoulés. La guerre engendre tellement de douleur, et pourtant, on continue d’en voir. On entend parler de l’Iran, de l’Afghanistan, de la Syrie, de l’Irak – tous ces endroits dans le monde. Quand allons-nous enfin comprendre qu’on se blesse mutuellement, et que nous le faisons par choix? La guerre continue tout simplement à se produire. »

Adhel espère que ses histoires de mères et de filles soldats aideront les gens à ouvrir leur cœur et à voir les choses autrement.

« La créativité, c’est ce qui me définit. La communication, l’art, la narration – voilà ce que je crois pouvoir offrir au monde. C’est pour moi un vecteur de guérison. Parfois, il suffit de parler, de ressentir, de reconnaître, de donner du temps et de l’attention pour changer quelque chose dans la vie des gens. »

Le projet d’Adhel Arop a été financé par le programme Explorer et créer, qui vise à stimuler des pratiques artistiques qui encouragent les artistes à repousser les limites de leurs processus de création, à prendre des risques et à réaliser des œuvres uniques qui interpellent le public. Ce programme va au-delà du financement en offrant aux artistes de précieuses possibilités de développement professionnel et en appuyant leurs activités de recherche, de conception, de création et de production artistiques.

* : liens en anglais seulement