Collage de six photos de Simon Brault lors d’événements culturels, notamment dans le Nord du Canada. Il est accompagné de membres du public et du conseil d’administration.
17 avril 2023
 

Partir sans vous quitter

17 avril 2023

Lettre ouverte de Simon Brault à la communauté artistique après neuf ans à la direction du Conseil des arts du Canada

Chères collègues et amies, chers collègues et amis,

Le 23 juin prochain, je repartirai d’Ottawa sans avoir à y retourner comme directeur et chef de la direction du Conseil des arts du Canada. Ce sera la conclusion d’un intense chapitre de ma vie professionnelle, mais je ne cesserai pas pour autant de défendre la cause des arts et de la culture comme dimension essentielle de l’aventure humaine. Aussi, j’aimerais partager avec vous quelques réflexions avant la conclusion de mon mandat de neuf ans à la barre du plus important organisme de financement public des arts de notre pays.

Votre créativité et votre ténacité m’ont toujours impressionné et inspiré. Vous refaites quotidiennement la preuve que nos vies et notre monde peuvent être bonifiés, une œuvre à la fois. Vous explorez les profondeurs de l’existence que la majorité n’ose pas encore aborder. Vous revenez de ces explorations plus ou moins prolongées avec des mots, des images, des poèmes, des films, des danses, des chansons, des projets qui nous dérangent, nous émerveillent, nous instruisent, nous transforment ou nous préparent à des changements de perception ou de comportement qui accompagnent et stimulent l’évolution de notre société.

C’est ce qui donne un sens au travail que j’ai l’immense privilège de faire et c’est ce qui devrait éclairer la suite des choses pour le Conseil.

Le foisonnement de la création autochtone, l’émergence irrésistible de toutes les diversités, la dynamique complexe et inépuisable de la dualité du français et de l’anglais, les synergies surprenantes entre les formes plus traditionnelles et classiques de l’art et de l’expérimentation, les spécificités des contextes régionaux et locaux à la grandeur du territoire que nous couvrons et l’écart sans cesse grandissant entre les besoins et les moyens d’y répondre, sont quelques-unes des caractéristiques du secteur que le Conseil cherche constamment à mieux comprendre, accompagner et soutenir.

Évidemment, ce sont d’abord et avant tout le courage, la persévérance, l’inventivité, la diversité et le savoir-faire des artistes et des travailleuses et travailleurs de la culture au Canada qui expliquent son incroyable capacité à faire face aux tempêtes de toutes sortes, comme on l’a constaté une fois de plus à l’occasion de la pandémie. Cela dit, les pouvoirs publics ont la responsabilité de soutenir adéquatement ce secteur d’activité, au moins à la même hauteur que tous les autres secteurs, ce qui n’est toujours pas le cas.

Mais, au Canada et à l’échelle internationale, nous progressons sans cesse en direction d’une reconnaissance durable du rôle essentiel du secteur des arts. Nous progressons parce que nous insistons et nous n’abandonnons jamais. Cette progression est évidemment trop lente, mais je suis convaincu que rien ne pourra l’arrêter.

D’ailleurs, j’ai eu l’immense privilège de diriger le Conseil au cours de l’une des périodes de transformation et de croissance les plus importantes qu’il ait connues en plus de soixante ans. Au début de mon mandat, nous avons lancé un modèle de financement simplifié, avec six programmes de subvention offrant un accès accru aux personnes et aux organismes de tous les horizons artistiques et littéraires. Fait à noter : c’est sous ce modèle qu’est né le programme Créer, connaître et partager : arts et cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis, qui reconnaît enfin la souveraineté culturelle des peuples autochtones et qui respecte le concept de l’autodétermination des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Grâce à un investissement historique du gouvernement, nous avons plus que doublé la contribution annuelle du Conseil au secteur artistique. Nous avons mis l’accent sur les artistes et les organisations autochtones et racisées en triplant notre soutien aux arts et cultures autochtones et en consacrant 25 % de cet investissement supplémentaire à de nouveaux bénéficiaires.

Alors que la pandémie vous frappait de plein fouet, nous avons été en mesure d’obtenir des fonds d’urgence que nos équipes ont distribués en s’investissant corps et âme pour que le pire soit évité. Nous avons aussi été consultés par le gouvernement qui a tenu compte de nos recommandations afin que les artistes et les travailleuses et travailleurs autonomes bénéficient des prestations universelles.

Je vous suis reconnaissant de votre soutien à l’égard de la transformation du Conseil, une transformation qui exigeait beaucoup de patience et de bienveillance, tant à l’interne que dans vos propres rapports avec le Conseil. Vous avez fait preuve de générosité en nous transmettant vos observations et vos critiques, ce qui a enrichi l’élaboration de nos programmes de subvention, de nos plans stratégiques et de nos multiples initiatives destinées à mieux vous soutenir.

Évidemment, il reste encore beaucoup à faire. La pandémie que nous avons traversée ensemble a mis en lumière des injustices systémiques à régler et de multiples inégalités à combler, en plus de rendre encore plus évidents les problèmes endémiques de rémunération et le manque de protection sociale qui affectent la majorité des artistes et travailleuses et travailleurs de la culture. Le Conseil des arts du Canada en est extrêmement conscient et il en tiendra compte dans ses actions et décisions.

La pandémie a aussi suscité des conversations inusitées et répétées au sein même de notre communauté sur la façon de construire un secteur artistique plus équitable, plus inclusif et, ultimement, plus durable. J’y vois la promesse d’avancées formidables dans les mois et les années qui viennent.

En dépit des incertitudes et des menaces économiques et autres qui se profilent, je crois sincèrement que nous entrons dans l’une des périodes les plus passionnantes et prometteuses de l’histoire du secteur des arts au Canada. Cette période sera porteuse de changements réels et durables pour les arts et pour notre société dont ils s’inspirent et qu’ils influencent en retour.

L’urgence climatique, les conflits armés et les menaces aux droits humains qui sévissent sont propices à une refonte du rôle des arts et de la littérature comme leviers d’affirmation, de réparation, de réconciliation, d’émancipation, de solidarité et de progrès durables. L’accès au pouvoir et aux retombées de la création artistique et littéraire pour toute la population du Canada représente un véritable projet de société pour nous. Ce projet ne doit pas tenir compte de l’héritage, de l’origine ethnique, de l’âge, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre, de la langue ou du lieu de résidence des personnes ni du fait qu’elles se trouvent ou non en situation de handicap.

C’est un projet qui est à notre portée et c’est la grandeur et la noblesse de ce projet qui justifient la pleine reconnaissance que nous revendiquons pour notre secteur et pour toutes les personnes qui y consacrent leur vie. Ce fut un honneur pour moi de vous servir dans les fonctions qu’on m’a confiées. Je ne pouvais pas rêver d’un meilleur endroit pour contribuer à l’avancement des arts et de la culture au cœur de notre démocratie.

Je vous prie de continuer à communiquer avec moi et mes collègues pour nous transmettre vos commentaires et conseils afin que nous puissions continuer d’apprendre et de nous améliorer.

Je pars bientôt, mais je ne quitterai jamais ce secteur que j’aime pour des raisons qui ne cessent pas de se multiplier.

Merci.