Maison du Canada
16 juin 2020

Photo : Teresa Carey

Mois de l’histoire autochtone : le temps de la vérité et de l’action

16 juin 2020

Message du directeur du programme Créer, connaître et partager : arts et cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis, au nom du Conseil des arts du Canada

En « temps normal », nous serions en train de célébrer la Journée nationale des peuples autochtones, le 21 juin, dans le cadre du Mois national de l’histoire autochtone. Cependant, les temps ne sont pas normaux. Et l’heure n’est pas aux célébrations.

Le Canada est à un tournant historique. Les relations entre les peuples autochtones et non autochtones du Canada, et entre les peuples autochtones et l’État canadien doivent être radicalement transformées. (Extrait de Façonner un nouvel avenir, plan stratégique du Conseil des arts pour 2016-2021)

Nous avons fait cette déclaration bien avant que la COVID-19 ne bouleverse nos vies et bien avant que George Floyd, un homme noir non armé, ne soit assassiné par des policiers de Minneapolis. Quelques jours plus tard, au Canada, Chantel Moore, une femme de 26 ans de la région de Noo-chah-nulth, a été tuée par balle par la police à son domicile lors d'un « contrôle de bien-être ». Au-delà de ces exemples récents, la violence raciale perdure depuis longtemps aux États-Unis et au Canada. Les fléaux et la violence raciste forment une combinaison mortelle pour les Autochtones et les Noirs. Notre « tournant historique » risque de se transformer en une ère de traumatismes, de colère, de rage et de peur pour les communautés des personnes de couleur et les peuples autochtones. La peur d’une pandémie qui continue de faire des ravages disproportionnés dans ces communautés s’additionne à la peur des appareils étatiques qui perpétuent et tolèrent la violence raciste contre celles-ci.

Les peuples autochtones connaissent bien les fléaux, qu’ils soient naturels ou qu’ils servent d’armes au colonialisme. Du 17e siècle au début du 19e siècle, la variole, transmise intentionnellement par les missionnaires et les commerçants européens, a décimé les communautés autochtones qui vivaient sur ces terres. Certaines d’entre elles ont perdu plus de 75 % de leurs membres. En 1763, les militaires britanniques, sous la gouverne de Jeffrey Amherst, ont utilisé des couvertures exposées à la variole comme arme bactériologique pour tenter d’écraser la résistance des Premières Nations, menées par Obwandiyag (Pontiac).

Les peuples autochtones connaissent aussi la violence raciale étatique. Nous connaissons trop bien la douleur, la peine, la colère et la rage des communautés noires et des autres personnes de couleur. Nous savons ce que cela signifie d’être criminalisés, ciblés, brutalisés et tués par la police. Nous savons ce que c’est de se sentir impuissants quand un fermier blanc se fait acquitter pour le meurtre de Colten Boushie. Nous savons que les femmes et les filles autochtones continuent de se faire assassiner et de disparaître à un rythme inconcevable. Nous savons à quel point il est frustrant de faire face à un système de justice qui se ligue contre nous et nous emprisonne dans des proportions absolument effarantes.

Comme Sefanit Habtom et Megan ScribeBlack l’ont écrit dans ce récent rapport du Yellowhead Institute, intitulé To Breathe Together : Co-Conspirators For Decolonial Futures (Respirer ensemble : conspirateurs unis pour des avenirs décoloniaux) [TRADUCTION]: « Les relations entre les Noirs et les Autochtones n’ont pas toujours été faciles ou simples. Parfois, nous nous laissons tomber. Parfois, nous nous perdons de vue, préoccupés par les gains immédiats plutôt que par la libération collective. Toutefois, comme nous sommes tous enchevêtrés dans des États coloniaux et suprémacistes blancs, il y a de nombreux moments – des moments comme maintenant – où il devient de plus en plus évident que nos intérêts et notre survie nous rendent inséparables. »

Partout sur les territoires que l’on appelle maintenant Canada et États-Unis d’Amérique, les corps des personnes autochtones, noires et de couleur sont continuellement sacrifiés sur l’autel du colonialisme, du capitalisme et de la suprématie blanche. Nous reconnaissons le fait que la présence des Noirs en Amérique est le résultat direct de la déshumanisation et de la migration forcée des peuples africains à cause du commerce d’esclaves, et nous partageons la rage de toutes les communautés ciblées par le racisme et les actes de génocide. Cette époque est déterminante pour le Canada. Le moment est venu de nous repenser, radicalement. Il est temps d’écouter attentivement et de réfléchir, alors que nous examinons le genre de nation(s), et de société, que nous souhaitons devenir.

Les arts et la littérature peuvent, et doivent, jouer un rôle important dans cet avenir. Dans son dernier rapport, la Commission de vérité et réconciliation du Canada a exhorté l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes à s’éduquer sur l’histoire et les réalités vécues par les peuples autochtones. La même chose s’applique à l’expérience des Noirs et des Noires dans ce pays.

Je vous encourage à lire des livres écrits par des écrivaines et des écrivains autochtones et noirs, à écouter la superbe musique composée par ces communautés, à regarder des films et d’autres créations médiatiques réalisés par des personnes autochtones et noires (dans le confort de votre foyer), ou encore à visiter une exposition virtuelle ou à assister à une performance d’artistes autochtones et noirs. Je vous encourage aussi à soutenir activement les communautés autochtones et noires dans leur lutte contre les injustices, les inégalités et la violence.

Linda Tuhiwai Smith, une universitaire maorie, a écrit [TRADUCTION] : « l’histoire non autochtone est une invention de la société dominante, écrite de façon à exclure les valeurs et les points de vue autochtones, tout en prétendant offrir un portrait objectif et exact de la chronologie des événements. En réalité, il s’agit d’un outil de domination. » En ce Mois national de l’histoire autochtone, nous honorons ceux et celles que nous avons perdus aux mains de cette histoire, mais nous devons aussi réinventer notre avenir. Il faut mettre fin au racisme structurel et à l’oppression coloniale qui ont créé ces injustices. C’est l’heure de briser le silence. C’est l’heure de passer à l’action. C’est l’heure de se joindre aux communautés opprimées et racisées de ces terres, et d’exiger justice.

Idle No More. Black Lives Matter.

Steven Loft (Mohawk)

Carl Beam, Burying the Ruler #1