Time_Place_Space: Nomad -
La résilience par le silence
En 2015, le Conseil des arts a renouvelé son partenariat avec Arts House/Performance Space en Australie, ce qui a permis à trois artistes interdisciplinaires canadiens de participer à Time_Place_Space: Nomad 2015. Cette résidence itinérante sous forme de laboratoire a réuni plus de 25 artistes qui ont exploré des pratiques interdisciplinaires et expérimentales tout en campant dans la région de Victoria en Australie.Une des artistes, Anne Riley, a accepté de nous faire part de ses observations sur la résidence, de son expérience et de ses apprentissages.
« Le silence est souvent perçu de façon négative, passive ou on lui attribue une connotation passive; et pourtant il est essentiel à la réflexion. Dans le monde d’aujourd’hui, pollué par le bruit, le silence peut être un outil puissant. Avec l’exposition The Silence of Sovereignty, Dylan Miner nous propose d’écouter le silence de certains endroits comme une forme de résistance, une force tranquille de la souveraineté autochtone. »
Le point de vue de Dylan Miner trouve écho en moi, en tant qu’artiste émergente autochtone altersexuelle d’ascendance crie, dénée et allemande, établie sur le territoire non cédé des Salish de la côte connu sous le nom de Vancouver. Son point de vue correspond à ma façon de concevoir les moments et expériences de silence, comme des gestes de résilience, d’intimité et de langage.
Être seule et présente à la terre revêtait une importance capitale afin de comprendre le travail et les difficultés qu’il me faillait explorer pendant la résidence
J’ai vécu récemment une expérience formatrice à la résidence Time_Place_Space: Nomad sur le territoire non cédé des Wurundjeri (Melbourne, Australie). Tout au long de la résidence, les participants ont animé des ateliers sur l’expérience théâtrale, la conscience du corps, la danse, le jeu et l’écoute. Ma formation antérieure reposait entièrement sur le visuel, et pendant la résidence, j’ai réalisé qu’un profond silence émergeait en moi. Quelque chose de profondément intime essayait de trouver sa voix, tandis qu’au même moment on me demandait de faire face à une grande vulnérabilité. Je devais décider comment m’engager, et définir ce que signifiait mon engagement. La solution fut pour moi de ne pas assister aux ateliers, puisque ce que j’avais ressenti comme prioritaire à mon arrivée à la résidence était de m’ancrer dans ce territoire non cédé des Wurundjeri. Être seule et présente à la terre revêtait une importance capitale afin de comprendre le travail et les difficultés qu’il me faillait explorer pendant la résidence.
Un moment inoubliable s’est produit le matin où nous quittions notre premier camp pour rejoindre le suivant à quatre heures de route. Après une semaine d’ateliers, il m’a paru nécessaire de trouver un moment pour remercier la terre et, dans cet esprit de gratitude, de m’ouvrir à l’immensité de l’horizon. J’ai donc décidé d’animer, avec un autre artiste, un atelier permettant aux participants d’assister au lever du soleil. Environ six personnes sont arrivées à 5 h 30 sur la colline surplombant notre site; certains se livraient encore à leurs rêveries, dans un demi-sommeil. Ensemble, dans le silence, nous avons regardé le soleil se lever. Ce matin-là, en compagnie de mes camarades, j’ai appris que prendre le temps de ralentir et remercier un lieu pour ses enseignements nous permet de nous ouvrir. Cela nous permet d’accepter, de communiquer autrement, de réfléchir au temps passé avec les autres et avec soi, dans un lieu donné.
La dernière semaine, nos corps étaient accablés non seulement par les éléments, mais aussi par les interactions humaines constantes. C’est à ce moment que j’ai accompli l’essentiel de mes travaux critiques face aux questions de la résidence : De quoi un artiste a-t-il besoin pour créer ses œuvres? Qu’est-ce que la résilience artistique? Qu’utilisez-vous comme trousse d’outils artistique?
En guise de conclusion à la résidence, j’ai fait une prestation intitulée : « Je n’ai pas réussi à trouver le mot silence dans mon dictionnaire dené. Cependant, j’ai trouvé le mot ATTENDRE (K’a). »
J’ai demandé aux participants de s’asseoir sur une colline à proximité du lieu de ma prestation, afin qu’ils me regardent à distance. Ce lieu, le lac Natimuk, est complètement asséché par la sécheresse qui sévit dans cette région. J’ai commencé ma prestation en marchant au centre du lac asséché avec un seau d’eau seulement. Enracinant mon corps afin de trouver ma place dans ce lac asséché, je me suis ensuite agenouillée pour recouvrir mes cheveux avec l’eau tiède contenue dans le seau. En me relevant, j’ai adopté une position stable – qui me permettait de faire pendiller mes cheveux devant mon visage et mon torse pour créer, de loin, une forme et un paysage abstraits. La prestation durait 18 minutes — le temps qu’il faillait pour que mes cheveux sèchent à l’humidité et au soleil. On décrit le lac Natimuk comme un lac éphémère, et c’est dans ce lieu éphémère que j’ai voulu me réapproprier le silence et l’intimité.
Tiré du texte rédigé par Noémie Despland-Lichtert pour l’exposition de Dylan Miner, Silence of Sovereignty, présentée au centre Articule à Montréal en 2015