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Miser sur les synergies pour mieux faire rayonner la création artistique sur la scène mondiale

15 novembre 2018
 

Présentation de Simon Brault à la Biennale de CINARS de 2018

Je vous remercie de m’avoir invité aujourd’hui pour discuter avec vous toutes et vous tous de la stratégie internationale du Conseil des arts du Canada. D’entrée de jeu, je veux dire que je ne viens pas présenter ici le détail des programmes de subvention du Conseil des arts qui visent à accroître le rayonnement de nos artistes à l’échelle du monde et répondent à l’engagement et aux investissements annoncés dans notre plan stratégique 2016-2021. Des agents du Conseil le feront mieux que je ne pourrais le faire moi-même après ma présentation.

La présentation d’aujourd’hui s’inscrit dans une série de discussions sur les enjeux de mobilité, de rayonnement international de nos artistes et de diplomatie culturelle auxquelles je participe cet automne. J’ai donc eu la chance, comme je le fais aujourd’hui, d’échanger avec des homologues d’autres agences de soutien aux arts, différents leaders artistiques (directeurs ou artistes), avec des ambassadeurs et des gens d’affaires en France, en Angleterre, au Mexique et au Canada.

Dans notre plan stratégique 2016-2021, nous affirmions que :

« Les visées pragmatiques et mesurables avancées pour justifier des investissements publics mettent en valeur les multiples contributions du secteur des arts au développement économique, à l’exportation, à la création d’emplois, au bien-être collectif et à la résilience des communautés. Dans l’économie du 21e siècle, le secteur des arts est aussi partie prenante d’un écosystème fertile pour l’innovation. Tous ces objectifs de politiques publiques s’additionnent aux qualités intrinsèques de la création et du partage de l’art. Ultimement, les gouvernements financent les arts pour atteindre des objectifs de développement humain. Si nous voulons une société créative, altruiste, résiliente et prospère où chacun peut s’exprimer pleinement et librement, il faut encourager l’engagement le plus authentique et le plus général des citoyens envers les arts, la culture et le patrimoine. Le financement public des arts ne repose donc pas simplement sur des impératifs financiers à court terme – même si on ne peut pas nier leur importance. Ce financement sert à bâtir la société dans laquelle nous voulons vivre. »

Et aujourd’hui, j’aimerais partager avec vous la vision du Conseil pour mettre les arts et la culture à l’avant-plan international.

Stratégie internationale : espaces culturels

La stratégie internationale du Conseil est favorisée par la rapidité de décision et d’action sur laquelle repose son déploiement, par son approche foncièrement collaborative et par la primauté accordée à l’impact réel de ses investissements et initiatives sur le rayonnement de la création artistique et littéraire dans différents contextes.

Trois éléments structurants appuient la stratégie internationale du Conseil des arts du Canada : notre vision, notre cadre ainsi que nos programmes et nos initiatives. Nos programmes de subvention nous permettent de faire des investissements concrets pour accroître la présence et l’influence des artistes et organismes artistiques du Canada à l’international. Nos initiatives de financement, quant à elles, sont complémentaires à nos programmes et nous permettent d’étendre notre action par le biais de partenariats. Notre cadre international, lui, nous permet de mettre en perspective nos actions et, bien entendu, de les ajuster. C’est un peu notre boussole organisationnelle. Enfin, notre vision, la vision à la source de l’ensemble de la démarche internationale du Conseil, celle dont je viens vous parler :

  • exprime les aspirations et la responsabilité publique inhérentes au rôle du Conseil;
  • appuie la libre et diverse expression des voix garantes de la démocratie, de notre développement et de son renouvellement;
  • repose sur les droits, la démocratie, la citoyenneté et la diplomatie culturels;
  • reflète la réalité des citoyens d’ici et du monde;
  • nourrit la diversité des expressions culturelles;
  • reconnaît la souveraineté culturelle des peuples autochtones et respecte le concept d’autodétermination des Premières Nations, des Inuits et des Métis et favorise leur rayonnement;
  • encourage les échanges culturels et la réciprocité des échanges, la collaboration et les partenariats.

Cette vision est primordiale, car elle permet à nos interlocuteurs locaux, nationaux et internationaux de mieux saisir le rôle du Conseil sur la scène internationale et, plus encore, la complexité de ce rôle. Le rôle du Conseil à l’international est multidirectionnel et multipolaire : il vise la réciprocité des échanges et repose sur la collaboration et la coopération. À l’échelle du Canada et du monde, nous visons à créer des occasions ou des espaces pour rassembler les différents joueurs (privés, gouvernementaux — à différents paliers —, autochtones, et autres) et, évidemment, nous visons à agir de façon concertée et complémentaire. Nous le faisons en étant activement présents au sein de réseaux d’influence internationaux comme l’International Society for Performing Arts, l’UNESCO, le programme international ArtsLink, la Commission internationale du théâtre francophone, la Fédération internationale des conseils des arts et agences culturelles (sous l’acronyme IFACCA) pour ne nommer que ceux-là. Nous le faisons aussi en signant des ententes bilatérales et multilatérales de coopération avec des ministères ou agences de financement publics de pays, comme le Mexique par exemple. Je reviens tout juste du Mexique où le Canada sera à l’honneur en 2019 au fameux Festival Internacional Cervantino dans la ville de Guanajuato. Et je puis vous assurer que notre approche suscitera l’engagement de partenaires de tout le Canada.

Diplomatie culturelle

Notre vision des arts et de la culture à l’international repose sur un développement humain qui mise sur une pleine citoyenneté culturelle. Et cela se traduit dans nos programmes et initiatives. À l’échelle de nos initiatives, par exemple, nous avons récemment été l’hôte du Sommet des Amériques sur la culture pour promouvoir la citoyenneté culturelle à l’échelle continentale. Cette vision, nous la partageons dans différents forums, notamment pour parler de diplomatie culturelle. Comme je l’ai dit récemment en Europe et au Mexique sur différentes tribunes :

La diplomatie culturelle change, s’adapte, se contracte ou prend de l’expansion au gré des changements de régimes politiques et des exigences contextuelles, mais, heureusement, elle ne disparaît jamais complètement, à la fois parce qu’elle compte sur des traditions très anciennes et parce que la culture restera toujours au chevet de notre humanité menacée. Il faut cependant admettre que la question de l’évaluation des retombées tangibles de la diplomatie culturelle continue de teinter les débats au sujet de son utilité et de son importance relative. Il est évidemment plus facile de compiler des données sur nos exportations commerciales que de mesurer la circulation des idées et des valeurs et d’évaluer leur impact sur la compréhension entre les peuples et la prévention des disputes de toutes natures, des conflits majeurs ou même du terrorisme.

Ce dont il est ici question, c’est de l’apport possible de la création artistique et littéraire au déploiement d’initiatives de diplomatie culturelle et plus encore aux interactions humaines qui constituent le fondement même des échanges de toutes natures et de toutes portées entre les peuples, les nations et les pays. Il ne s’agit pas d’instrumentaliser la création pour servir les intérêts de quiconque. La diplomatie culturelle, c’est choisir que les arts puissent créer des espaces de discussion, de médiation. Et le Conseil souhaite amplifier ces espaces de discussion en augmentant sa participation directe et indirecte à des initiatives de diplomatie culturelle, coordonnées avec Affaires mondiales Canada et Patrimoine canadien, ou, directement, avec les ambassades étrangères à Ottawa ou les ambassades et missions du Canada à l’étranger. Quand le Conseil appuie la présence d’artistes ou d’organismes artistiques sur des plateformes, foires ou festivals internationaux comme les biennales de Venise, le Festival d’Édimbourg, la foire du livre de Francfort, les foires de musiques du monde, WOMEX, les rencontres internationales des arts des arts la scène ENARTES et CINARS et autres, sa décision d’appuyer une initiative est prise, comme pour ses subventions en fonction du mérite artistique, de la pertinence, de l’impact et de la faisabilité des projets soumis. Et c’est par le biais de nos subventions que nous investissons la plus grande portion des fonds consacrés à l’international. En 2017-2018, nous avons investi à l’international, grâce à nos programmes, 20,7 millions de dollars. Ce montant représente le double de celui investi en 2016-2017. Selon les premières données du programme Rayonner à l’international, cette présence des artistes, groupes et organismes artistiques représentait 1 670 activités artistiques dans 105 pays, et cela, sur tous les continents.

Cela signifie que des artistes et des organismes artistiques présentent des œuvres qui reflètent la diversité de nos valeurs et les remarquables expressions des Autochtones. Les arts et la culture doivent reprendre, soutenir et poursuivre la conversation sur un projet de civilisation. À l’échelle du territoire que nous partageons, à l’échelle du monde, d’un monde dont nous sommes solidaires.

Évidemment, pour envisager ce quotidien transformé à l’échelle internationale, il faut alors être en mesure de reconnaître et de défendre les repères qui nous rassemblent et nous définissent en tant que société. Et l’exercice n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire : ce n’est pas une simple profession de foi, c’est une décision informée, éclairée et volontaire. Nous devons prendre acte de la redéfinition nécessaire et urgente des relations entre les peuples autochtones et non autochtones dans certains pays, dont le Canada, des aspirations de la jeunesse actuelle ainsi que des mouvements sociaux comme le #moiaussi, le Blacklivesmatter ou le mouvement #occupy, qui démontrent à quel point nous sommes souvent enfermés dans des systèmes injustes, oppressants et archaïques.

Un peu comme l’écrivaient Jean-François Fogel et Bruno Patio dans La condition numérique [et je cite] : « Un monde construit à partir de ce qui est familier est un monde où il n’y a rien à apprendre. » Ils notent aussi que : « L’ambition ultime et plausible d’un moteur de recherche est d’indiquer à chacun une question qu’il souhaite poser avant qu’il l’ait formulée. » [fin de la citation]. Si cette citation porte sur un constat de notre réalité numérique, force est de constater qu’elle s’applique tout autant à d’autres systèmes qui nous invitent à la défense aveugle d’un statu quo tout aussi réconfortant qu’aliénant.

Droits, démocratie et citoyenneté culturels

D’où la nécessité d’une vision internationale. Et, en raison de la nature commune du travail de soutien aux arts que nous avons (par le financement ou la diffusion), je tiens à apporter ici une distinction importante : cette vision des arts ne vise aucunement l’instrumentalisation des artistes. Au contraire, les artistes sont des voix souvent divergentes et critiques de nos réalités et ils expriment des préoccupations que les politiques n’osent souvent pas évoquer, mais qui rejoignent les êtres humains auxquels ils s’adressent tant dans leurs pays qu’au-delà des frontières. Ce sont les voix d’une libre expression garante de la démocratie et de son renouvellement.

Et je fais cette mise en garde parce que la notion de soft power surgit souvent dans les forums internationaux, et nous devons envisager le soft power avec prudence, avec respect. Le soft power ne doit pas devenir une autre monnaie d’échange, une nouvelle allégorie qui facilite les transactions inégales. Évidemment, le soft power est associé à une dimension économique et politique, mais il ne devrait pas en être réduit à une finalité à court terme. Pour cette raison, je préfère proposer une vision de l’international qui repose sur les droits, la démocratie et la diplomatie culturels, une vision fortement ancrée dans la réalité des citoyens d’ici et du monde et, aussi sur les échanges culturels.

Évidemment, le Conseil des arts jouit aujourd’hui de programmes pouvant répondre à cette vision et aussi des fonds nécessaires pour amplifier son intervention internationale. Est-ce que dans les éléments structurants dont nous nous sommes dotés, il reste encore des avenues à explorer pour éliminer les frontières et les silos qui ont trop souvent dicté nos interventions pour coordonner nos efforts et maximiser l’impact de celles-ci? Évidemment. Nous devons le faire avec une grande lucidité des moyens historiques dont nous disposons et nous devons le faire avec la conscience que nous devons progresser en collaboration et en faisant appel à un leadership partagé, à l'échelle internationale.

Les arts, l’inclusion, le déficit social et la cohésion sociale

Je l’ai dit à différentes occasions. Le Conseil des arts du Canada se trouve dans une situation unique au monde : alors que les organismes publics de soutien aux arts de nombreux pays ont vu leur budget stagner, ou même diminuer, nous disposons d’importantes sommes supplémentaires à investir dans les arts. Entre 2016 et 2021, notre budget annuel aura doublé, pour atteindre approximativement 360 millions de dollars.

Et comme je l’ai dit, cette augmentation des possibilités d’investissement dans les arts s’assortit d’une responsabilité unique : celle de renouveler la conversation, au Canada, mais aussi partout dans le monde, sur la capacité qu’ont les arts de transformer des vies et d’édifier un meilleur avenir pour tous.

En réorientant cette conversation, nous voulons aussi nous assurer que nos décisions et actions ne serviront pas qu’à répéter ce que nous faisons depuis des décennies. Il faut explorer de nouveaux territoires et mobiliser les artistes comme les citoyens dans cette conversation.

Quel que soit l’endroit du monde où je me rends pour discuter du pouvoir transformateur des arts, les grands défis auxquels sont confrontés les villes et les pays sont semblables et fortement interconnectés. Ce sont des défis comme l’isolement social, les affrontements identitaires et, ultimement, le manque de plus en plus criant de cohésion sociale. C’est la réalité d’aujourd’hui. Cela se manifeste de différentes façons, à différents degrés, de la montée du populisme et du nativisme dans la sphère politique jusqu’aux commentaires racistes que l’on entend dans la rue, dans les conversations de tous les jours.

Ces défis sont exacerbés par des systèmes qui dictent nos comportements, qu’ils soient politiques, économiques, nationalistes ou organisationnels, et peut-être surtout, par des plateformes fondées sur les algorithmes. Dans ce contexte, la prise de décisions, aux échelons les plus élevés, subit l’influence de luttes polémiques qui font passer le désir de remporter des affrontements idéologiques avant la recherche de solutions qui favorisent le bien commun.

Cela nous mène à un sentiment généralisé de dépossession, de rancune et de colère, et à une anxiété profonde quant à ce que l’avenir nous réserve. Ce sentiment de dépossession ne fait que s’accentuer alors que les gens qui cherchent des solutions aux différents problèmes de notre monde découvrent que les ressources existantes ne suffisent pas à la tâche.

Dans cette quête de solutions visant à créer des sociétés plus heureuses, plus saines, plus sûres et plus prospères, on oublie souvent les arts. C’est ironique, parce que les arts ont bel et bien cette capacité incroyable de rapprocher des gens différents, de favoriser la communication entre eux et d’encourager l’exploration collective d’idées et d’expériences humaines, plutôt que d’offrir des solutions normatives, ou encore impromptues.

Le moment est venu de pousser notre réflexion au-delà des intérêts contenus par les frontières de nos pays, de dépasser les intérêts de nos cercles socioéconomiques ou identitaires. C’est le moment de tendre la main aux autres – en passant outre ce qui nous divise – afin de travailler ensemble à la création de communautés.

Je suis convaincu que notre vision des arts et de la culture au niveau international présuppose l’engagement de chacun d’entre nous à collaborer par-delà les frontières, au-delà de nos propres intérêts.