56e Assemblée générale annuelle, Musée canadien pour les droits de la personnes

56e Assemblée générale de la Commission canadienne pour l’UNESCO

25 avril 2016

Présentation de Simon Brault sur la démocratie culturelle

56e Assemblée générale de la Commission canadienne pour l’UNESCO  
25 avril 2016, Winnipeg

Je suis ravi d’être ici aujourd’hui et de participer à cette discussion sur les enjeux liés au développement durable, au développement humain et à la démocratie culturelle.

Je vous avoue qu’en préparant ma présentation, j’ai fait un retour en arrière qui m’a ramené à Thessalonique en Grèce, en 2013. J’étais alors invité à prendre la parole à cette conférence sur le développement durable et la culture au moment même où la mobilisation des indignés contre les effets des mesures d’austérité reprenait de l’ampleur grâce à ces jeunes qui scandaient ce magnifique slogan : « Vous nous empêchez de rêver, on va vous empêcher de dormir! »

Dans mon intervention, je rappelais que nos grandes politiques culturelles et que les instruments de régulation et de financement qui façonnent encore le secteur des arts, de la culture et du patrimoine ont été essentiellement développés il y a un peu plus d’un demi-siècle avec le postulat que la croissance était infinie. En effet, de nombreux économistes de la culture ont adopté et défendu la théorie selon laquelle un accroissement constant de l’offre culturelle créerait, à terme, une plus grande demande, une démocratisation culturelle.

Cette approche a donné forme à de nombreux modèles d’intervention qui agissent du haut vers le bas. Pour le Conseil des arts du Canada, cette hypothèse fondatrice, lui aura permis de soutenir avec succès et pendant presque 60 ans l’éclosion, puis la consolidation et le rayonnement d’une activité artistique bouillonnante, diversifiée et appréciée par nos concitoyens et par-delà nos frontières.

Guidé par le désir de répondre aux attentes et aux besoins toujours plus importants de la communauté artistique professionnelle, le Conseil s’est cependant alourdi au fil des décennies, jusqu’à gérer plus de 140 programmes différents de soutien à la création artistique. En poursuivant la logique de l’offre comme moteur de la demande, le Conseil s’est aussi de plus en plus confiné dans un rôle de pourvoyeur de fonds très paramétrés au service d’une clientèle de plus en plus exigeante et de plus en plus fragilisée non seulement par les crises économiques cycliques et mondialisées, mais aussi par des changements sociétaux radicaux, notamment ceux liés au numérique.

D’abord conçu comme un instrument pour stimuler l’appréciation des arts, notamment en soutenant la production et le partage, le Conseil, comme tant d’autres organismes et ministères semblables dans le monde, est devenue une machine sophistiquée de financement très sélective et souvent perçue comme la chasse gardée d’une élite.

Le développement culturel pensé d’une manière verticale et exécuté du haut vers le bas mène inexorablement à un certain désengagement des citoyens. Pour ne pas demeurer une utopie, la démocratisation culturelle exige que nous nous attaquions à la refondation de nos institutions avec une conscience aiguë des aspirations, revendications et contributions des diverses communautés qui composent notre société. C’est le sens de la transformation en cours au Conseil des arts du Canada.

Citoyenneté et démocratie culturelle

Aujourd’hui, notre pays est très différent de ce qu’il était en 1957 quand le Conseil a été créé.

L’évolution démographique, la mondialisation des échanges, l’omniprésence des technologies numériques dans nos vies individuelles et dans nos interactions sociales, la redéfinition nécessaire et urgente des relations entre les peuples autochtones et non autochtones du Canada, ainsi que les aspirations de la jeunesse actuelle sont les moteurs de la transformation profonde et continue du Canada et de sa compréhension même de son passé, de son présent et, surtout, de son avenir.

Grandement influencées par le numérique, nos habitudes de consommations et même de vie ont grandement changé. L’accès immédiat à du contenu sur les multiples écrans qui nous accompagnent au quotidien concurrence l’offre culturelle produite, programmée et diffusée par les institutions. Pour bien saisir toutes les dimensions de cette réalité, il ne faut toutefois pas se cantonner à opposer l’ancien au nouveau. Il faut d’abord s’intéresser aux êtres humains, aux citoyens, comme acteurs culturels, comme décideurs, comme agents de création, comme producteurs et, même, comme porteurs et diffuseurs de culture.

Et cela rejoint directement la notion de citoyenneté culturelle qui, elle, met de l’avant la participation, l’autonomie et l’engagement des citoyens envers les arts et la culture, en relation, en rupture, en opposition ou - et c’est ce que je nous souhaite - en dialogue avec les institutions.

Comprendre et remodeler le financement public des arts selon cette perspective est au cœur de la vision actuelle du Conseil des arts. Évidemment, le Conseil continue de soutenir l’excellence artistique, mais selon une reconfiguration des rapports verticaux qui fait appel aux principes mêmes de la démocratie culturelle sans renier la pensée humaniste et universaliste qui a engendré l’idéal de la démocratisation culturelle.

Si nous voulons une société créative, altruiste, résiliente, paisible, harmonieuse et prospère où chacun peut s’exprimer pleinement et librement, il faut encourager l’engagement le plus authentique et le plus général des citoyens envers les arts, la culture et le patrimoine. Le financement public des arts doit contribuer à bâtir la société dans laquelle nous voulons vivre. Le Conseil a  une vision et un plan pour contribuer à faire émerger cet avenir.

Une vision de la démocratie culturelle

Le Conseil a amorcé, il y a 20 mois, une transformation majeure dont la première étape est son nouveau modèle de financement souple, ouvert, qui sera lancé en 2017. Et la vision porteuse de cette transformation fait, d’une certaine façon, écho à ce que disait Soo-Hyang Choi quand elle expliquait qu’il faut envisager l’éducation du point de vue de sa contribution au mieux-être de l’humanité en suscitant l’engagement des apprenants et en misant sur leur responsabilisation. Notre vision de la création et de l’innovation artistiques met de l’avant la contribution des arts à l’éducation, à l’environnement, au développement économique, au commerce, à la diplomatie culturelle, à la cohésion sociale et à la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones ainsi que sa contribution dans tous les aspects de notre développement humain, social et économique. Notre vision mise sur l’autonomisation et la responsabilisation des créateurs; je le répète, c’est une refonte des rapports du bas vers le haut. Notre vision renforce la démocratie culturelle en permettant aux citoyens culturels, créateurs et publics, de contribuer au développement d’une société ouverte, novatrice, distincte et plurielle.

Récemment, le philosophe Georges Leroux rappelait que l’éducation au pluralisme et à la citoyenneté s’imposait pour éviter la fracture sociale. De la même façon, une refonte de la vision du soutien aux arts s’imposait pour nous.

Nous devons trouver des espaces pour discuter, pour penser, pour nous remettre en question, pour repenser notre vivre ensemble, pour contrer la négation des valeurs démocratiques, pour redéfinir le développement humain. Notre vision mise sur un soutien accru aux artistes et aux organismes pour qu’ils puissent proposer des œuvres, des projets et des espaces imaginaires qui susciteront de telles discussions. Ultimement cette nouvelle démocratie culturelle sera portée et protégée par des citoyens qui auront compris et intégré l’importance des arts et de la culture dans leur vie. Des citoyens qui auront compris que le soutien à la création artistique est, ultimement, un acte citoyen.

Je suis convaincu que nous devons faire de plus en plus appel à la responsabilité individuelle, à la responsabilité citoyenne, et cela, à l’intérieur et à l’extérieur de nos structures institutionnelles.

Plan stratégique

À mon retour de Winnipeg, le Conseil rendra public son nouveau plan stratégique.

Évidemment, avec l’annonce du doublement de notre budget au cours des cinq prochaines années, nous avons désormais des moyens inespérés pour que les arts deviennent un vecteur de développement humain et durable. Le Conseil s’engage donc à :

  • augmenter son soutien aux artistes, aux collectifs et aux organismes en visant l’excellence artistique et en suscitant l’engagement accru envers les arts d’un public toujours plus diversifié;
  • accentuer la qualité, la portée et le partage de l’art au Canada grâce au numérique;
  • investir dans le renouvellement des relations entre les artistes autochtones et les publics autochtones et non autochtones pour qu’émerge un avenir commun;
  • accroître le rayonnement de la création d’ici et de nos artistes à l’international.

C’est là notre plan, c’est là notre vision. Je vous confie que, souvent, quand je parle de la transformation du Conseil, de sa vision et du rôle des arts dans nos vies, je cite la mission de l’UNESCO parce qu’elle fait remarquablement écho à nos préoccupations et, évidemment, cela me permet aussi de souligner le rôle essentiel que joue la Commission canadienne au sein du Conseil et au Canada.

Je sais que vous la connaissez parfaitement, mais je tiens à lire à haute voix cette déclaration : « Placer la culture au cœur du développement est un investissement capital dans l’avenir du monde, la condition du succès d’une mondialisation bien comprise qui prend en compte les principes de la diversité culturelle. »

Cette mission et les discussions d’aujourd’hui sur l’éducation à la citoyenneté mondiale et sur la démocratie culturelle témoignent non seulement de la complémentarité de nos pensées et de nos actions, mais de la force de nos interventions combinées pour un avenir caractérisé par les arts, la culture, l’équité et la paix pour toutes les Canadiennes et tous les Canadiens, pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis, et pour les générations à venir.